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Quel chemin parcouru depuis le jour où, courbé sous la honte d’une accusation terrible, il avait entrevu, comme unique horizon, l’effroyable vie du soldat rejeté du sein de l’armée et retranché de la société ! Quelle différence entre ce jour funèbre et cette claire matinée d’octobre où tout lui faisait fête, où l’avenir lui souriait, où il marchait au bonheur, entouré de la sympathie publique !

Et pendant que le prêtre prononçait les paroles qui unissent les âmes, un élan de muette reconnaissance monta de son cœur vers celui qui l’avait arraché au déshonneur pour le remettre dans le droit chemin ; sa pensée se reporta vers le héros de Crimée, vers ce vaillant au cœur généreux, que la mer berçait maintenant dans ses éternelles profondeurs.

Il se répéta qu’il était le fils de Henri Cardignac, non seulement son fils adoptif, mais son œuvre même ; c’était Henri Cardignac qui, après l’avoir sauvé du yatagan arabe, avait façonné son âme, élagué ses mauvais instincts, orienté son esprit vers le culte des grandes choses, en lui faisant connaître la beauté du sacrifice et la sublimité du courage.

À tous ces titres, il était bien le fils du Filleul de Napoléon, et c’est pourquoi, mes enfants, convaincu, moi aussi, que Henri Cardignac, mort sans postérité, pouvait considérer comme sien cet enfant qu’il avait formé pour le bien, j’ai aussi étroitement mêlé Pierre Bertigny à l’histoire de cette « Famille de Soldats » qui a traversé sous vos yeux les grandes guerres du siècle.


Quant à Francesco Renucci, ayant obtenu un congé pour venir à Paris, il manifesta de nouveau son intention d’entrer dans cette armée française dont la gloire brillait alors d’un éclat incomparable ; mais la loi était formelle : il ne pouvait devenir officier français qu’en se faisant naturaliser Français, et en s’engageant ensuite comme simple soldat. C’était une carrière à refaire et il ne s’en sentit point le courage. Nul d’ailleurs ne pouvait se douter alors que la France et l’Italie deviendraient ennemies, et Francesco, qui avait voulu seulement se rapprocher de son ami Pierre, put se dire qu’il restait son frère d’armes, puisque les armées française et italienne semblaient devoir n’en former qu’une seule.

Cet espoir ne devait pas durer longtemps. — Dès 1860, Garibaldi faisait tomber le royaume de François II, roi de Naples, soulevait la Sicile, puis