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dierait-il pas par ce courrier qui lui tombait sous la main d’une manière si inattendue ?

Telle était l’idée fantastique qui lui était passée par la tête. Vous savez d’ailleurs combien jadis Pierre aimait les situations bizarres et se complaisait dans les difficultés ; celle-là lui parut peu ordinaire et il trouva piquant d’utiliser, comme messager, l’adversaire que le hasard mettait à sa merci.

Il lui fit entendre sans peine qu’il avait besoin de lui parler en particulier ; le Croate trouva dans son détachement un soldat baragouinant le français, et pendant que les chasseurs de Pierre enfermaient leurs prisonniers dans une grange bien cadenassée, notre ami faisait entendre au sous-officier autrichien à quel prix il pouvait recouvrer sa liberté.

Je voudrais savoir dessiner comme mon ami de Sémant pour vous peindre l’expression de physionomie du colosse lorsqu’il eut, non sans peine, compris la proposition qui lui était faite. Il chercha son sabre pour jurer sur sa poignée qu’il accomplirait fidèlement la mission dont on le chargeait pour Milan, mais il était désarmé et il se borna à faire de grands gestes d’assentiment.

Pierre lui remit sa lettre : il la serra dans la poche intérieure de son plastron blanc, et, s’étant vivement orienté, détala de toute la vitesse de ses grosses jambes dans la direction de l’armée autrichienne.

Si maintenant vous vous étonnez de voir Pierre libérer, de sa propre autorité, un prisonnier de guerre, je vous dirai que je ne me charge pas de l’excuser, car, en effet, il commettait une faute grave.

Mais je ne vous l’ai pas présenté comme une perfection.

Sachez, d’ailleurs, qu’il n’avait pas mal placé sa confiance : le lendemain même, notre Croate, s’étant remonté à peu de frais sur un des nombreux chevaux qui erraient sans maître aux environs du champ de bataille, arriva à Milan et porta la lettre à destination.

Il eut même, en la remettant, quelques paroles aimables qui portèrent à son comble l’étonnement de Mme Renucci et de sa fille, car, comme il ne se vanta pas devant elles d’avoir été le prisonnier de Pierre, plusieurs jours s’écoulèrent avant qu’elles pussent comprendre quel miracle avait transformé leur farouche garnisaire en facteur des postes.


Cependant, l’Empereur Napoléon III ne se doutait pas que la bataille de Magenta était gagnée et quand, le soir même, Mac-Mahon lui en eut donné