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Ce fut une grande satisfaction pour le dernier filleul de Napoléon de se retrouver au service du neveu de son illustre parrain, et peut-être l’emploi lui fit-il ce jour-là plus de plaisir que le grade.

Peu après, Jean eut une conversation secrète avec le souverain sur le nouveau matériel de canons rayés de campagne, qui était alors en construction et dont Napoléon III poussait en toute hâte l’achèvement. À la suite de cet entretien, il réintégra son cher local d’études du Louvre. Il y retrouva son fidèle Bouloche et se replongea avec plus de feu que jamais dans ses recherches, ses épures et ses calculs.

Mais ce qui faisait son bonheur causa le désespoir de Mahurec.

Le brave Breton avait d’abord éprouvé un gros chagrin en laissant en Crimée sa pièce « Yvonne », bien qu’elle ne tirât plus ; puis il s’était dit qu’en France, il retrouverait une autre « Yvonne » d’un calibre différent peut-être, mais à laquelle il pourrait s’attacher.

Il avait été fort impressionné, lorsque, au débarcadère, à Paris, Pierre Bertigny lui avait sauté au cou, l’avait remercié de sa ceinture de sauvetage et traité en ami ; mais il avait éprouvé une vive déception en voyant que son commandant, qui avait dix-huit pièces sous ses ordres à Sébastopol, n’en commandait plus une seule à Paris et n’alignait plus que des chiffres.

Il crut d’abord qu’il ne s’agissait, pour son officier, que d’une occupation passagère, et, pour tuer le temps, il alla voir, quand il avait des loisirs, manœuvrer les batteries sur le polygone de Vincennes ; mais lorsque Jean, réinstallé au Louvre, voulut le transformer en garçon de bureau, à l’instar de Bouloche, plus ventripotent et plus solennel que jamais, Mahurec exprima nettement son sentiment :

— Mon colonel, dit-il, moi, voyez-vous, j’aime le canon ; c’est plus fort que moi. Il n’y a pas d’homme plus heureux que moi quand je vois ma pièce bien astiquée, bien luisante, prête à tirer, « Je m’ai engagé » pour sept ans afin d’arriver chef de pièce. Je vous en prie, remettez-moi dans une batterie : je crois que je peux faire un bon artilleur, mais je suis sûr de faire un mauvais garçon de bureau.

Son vœu avait été exaucé, et, dès 1857, son ambition était réalisée : il était chef de pièce, et qui plus est, d’une pièce de 4 rayée de campagne, c’est-à-dire d’une des pièces nouvelles qui allaient faire si brillamment leurs preuves sur les champs de bataille d’Italie.