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elle se fera : je vais moi-même aller demander l’autorisation au général de la Marmora. Revenez me trouver ce soir, mon jeune camarade : seulement, vous le savez, nous allons à Gênes.

— Oh ! fit Pierre, quand nous serons à Gênes, je ne serai pas embarrassé.

— Eh bien, comptez sur moi ; je tâcherai d’être convaincant et serais bien surpris si j’échouais ; précautionnez-vous de votre côté pour être autorisé à embarquer avec nous, car je ne puis me charger de ce pieux dépôt qu’à la condition que vous l’accompagnerez : nous levons l’ancre demain à midi.

Le soir même, toutes les difficultés étaient aplanies. Le général de la Marmora, qui professait pour l’armée française une profonde admiration et avait demandé que le corps italien opérât sous les ordres du Maréchal Pélissier et non sous les ordres de Lord Raglan, avait accordé de suite au capitaine Renucci, c’était le nom du vieil officier, l’autorisation sollicitée.

De son côté, Pierre avait obtenu d’urgence, et grâce à l’entremise du lieutenant Vautrain, un congé de trois mois qui était presque un droit pour lui, puisque depuis près de deux ans que durait cette pénible campagne, il n’avait pas eu un jour de permission.

Enfin, sœur Marie-Agnès, ayant exposé la situation à la supérieure de son ordre à l’hôpital de Kamiesh, avait reçu d’elle une mission pour Rome, avec l’autorisation d’accompagner son frère.

Car il n’était guère possible à ce dernier de se charger seul du petit Georgewitz, et, à aucun prix, Pierre n’eût voulu le laisser en Crimée. Il regardait en effet cet enfant comme un legs de son bienfaiteur : la dette de reconnaissance que ce dernier avait, en s’en chargeant, voulu payer au vieux Mohilof, c’était lui, Pierre, qui l’acquitterait, et, en la faisant sienne, c’était un peu de sa dette propre qu’il acquitterait en même temps.

Jean Cardignac, lui, restait en Crimée : il y était depuis trop peu de temps déjà pour songer à être rapatrié, et d’ailleurs il avait été chargé par le Maréchal de faire le recensement des centaines de bouches à feu prises sur les Russes. Il télégraphia donc, et écrivit en même temps à Valentine pour lui apprendre la lugubre nouvelle de la mort de Henri et du rapatriement de ses restes ; enfin il munit Pierre d’une somme largement suffisante pour faire face à ses frais de voyage de Gênes à Paris.

Pierre d’ailleurs partait chargé de lettres, de commissions, de souvenirs