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femme, qu’elle embellissait ainsi sa dernière heure par l’évocation d’un souvenir d’une douceur infinie.

— Merci ! dit-il encore…

Et elle s’abîma dans une prière ardente.

Enfin à cinq heures, Jean arriva, la figure noire de poudre et ravagée par les larmes ; il n’eut pas besoin d’interroger ceux qui entouraient le lit pour deviner le fatal arrêt, et déposa en sanglotant un baiser sur le front de Henri.

Une demi-heure se passa encore sans qu’une parole fût échangée entre les témoins de cette mort, si belle et si calme. Pierre, anéanti, s’était agenouillé près de sa sœur ; la respiration du blessé devenait difficile : la vie s’en allait goutte à goutte.

La porte s’ouvrit de nouveau et le général Pélissier parut.

Sûr désormais de la victoire, il était venu visiter en toute hâte le général Bosquet, qu’il savait sérieusement blessé, et avait appris, à l’ambulance même, que, tout près de là, le commandant Cardignac qu’il connaissait bien, se mourait.

Il entra rayonnant : à cette heure, il personnifiait la France victorieuse, et la certitude du succès final et définitif l’exaltait ; elle était payée chèrement, cette victoire, par la perte de tant de braves ; mais au-dessus de l’holocauste de tous ces sacrifiés, le chef suprême voyait le drapeau triomphant et ne pouvait voir que lui.

Il s’avança vers le lit, détacha de sa poitrine sa croix d’officier, et d’une voix dont il essayait d’adoucir la rudesse habituelle :

— Commandant, dit-il, recevez cette première récompense de votre brillante conduite,… la Patrie n’oubliera pas votre nom !

Et il posa la rosette rouge sur la poitrine trouée du mourant.

Le regard atone de Henri Cardignac s’éclaira une dernière fois ; puis un léger tremblement agita son corps et ses yeux se fermèrent.

Sœur Marie-Agnès — c’était en religion le nom de Lucienne Bertigny — se releva alors, car, familiarisée avec les agonies, elle avait senti passer dans la main qu’elle tenait le dernier frémissement de la vie.

Elle croisa les bras de Henri Cardignac sur sa poitrine, ôta de son cou sa croix noire de religieuse et la posa près de celle de la Légion d’honneur, à l’endroit du cœur.