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une idée de l’Empereur ; je t’en parlerai plus longuement quand je t’aurai rejoint.

« À bientôt donc et de tout cœur à toi.

« Ton frère et ami,
« Jean. »


— Des boucliers ! fit Henri, qui, très intrigué, se demanda à qui allaient être attribuées ces armes défensives d’un autre âge ; le siège de Sébastopol commence à ressembler au siège de Troie par la durée ; il ne lui manque plus que les boucliers d’Achille et d’Ajax pour qu’il y ressemble tout à fait.

Le 5 juin, Jean débarquait à Kamiesch, et les deux frères, séparés depuis une année qui en valait bien deux, s’embrassaient avec effusion.

Jean apportait d’excellentes nouvelles des siens : Raton, c’était le surnom que Valentine donnait au petit Georges, était rose et potelé. Avec ses dix-huit mois il faisait mentir le dicton : « vingt mois, vingt dents », car sa vingtième quenotte venait de percer. Jean était très fier de son fils et avait essayé de faire faire sa photographie avant son départ ; mais l’instantanéité seule aurait pu avoir raison de la turbulence du petit diable et elle n’existait pas.

En revanche, il apportait la photographie de Valentine, qu’il voulait avoir sous les yeux, à toute heure, dans sa tente, et Henri, en la regardant, lut dans les beaux yeux de la jeune femme une profonde mélancolie, car, nous le savons, elle n’aimait pas et ne comprenait pas la guerre.

— Et Lucienne, demanda Pierre qui avait accompagné le commandant Cardignac au débarcadère de Kamiesch, en avez-vous des nouvelles ? Moi, je n’en ai plus depuis qu’elle a quitté la France, en octobre.

— Lucienne, dit Jean, mais elle a dû arriver en Crimée la semaine dernière, car la supérieure de la rue du Bac nous a dit qu’elle en avait fait la demande à Rome, où elle a séjourné plusieurs mois, et en avait obtenu aussitôt l’autorisation, les ambulances exigeant un nombreux personnel. Donc, elle est ici.

— Elle est ici ! répéta Henri Cardignac, et il devint très pâle.

Car l’affection qu’il avait vouée jadis à l’enfant, maintenant morte au monde, cette affection survivait au plus profond de son âme : les aventures,