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En moins d’une heure, le retour offensif de la division Bosquet avait réparé le désastre qui allait anéantir une partie de l’armée anglaise. Le général Bosquet, en conduisant lui-même ses bataillons, faillit être pris : car au moment où, à travers le brouillard, il faisait placer une batterie, les Russes, en masses profondes, apparurent à quinze mètres. On n’eut que le temps d’enlever les pièces, sauf une, dont le conducteur fut emporté par un boulet.

En se jetant sur ce canon pour l’enclouer, les Russes ne prirent pas garde au général qui était à cinquante mètres, avec deux ou trois officiers, un porte-fanion et une petite escorte. Quelques-uns cependant l’aperçurent ; mais comme il se retirait sans hâte, au pas de son cheval, ils furent indécis, troublés et ne tirèrent point.

« Voyez donc, dit le général Bosquet à ses officiers, ne dirait-on pas qu’ils nous présentent les armes ? »

Un pareil sang-froid, mes enfants, est aussi beau que la plus merveilleuse bravoure.

La journée avait été dure ; l’armée russe avait laissé douze mille hommes sur le terrain, les alliés trois mille six cents.

Mais, au grand étonnement des Français, les Russes ne demandèrent pas d’armistice pour enlever leurs nombreux blessés.


Le général Canrobert s’en étonna et résolut d’envoyer par un parlementaire, au prince Mentchikof, une note qui renfermait l’expression de cet étonnement.

C’était une occasion pour Henri Cardignac d’entrer en relations avec les Russes ; il s’offrit pour porter cette note et fut agréé.

— Tu viendras avec moi, Pierre, dit-il au jeune maréchal des logis. Procure-toi un fanion blanc et va chercher un trompette à l’escadron.

Une heure après, le trompette sonnait trois appels : le fanion blanc était hissé sur la tranchée et le feu des batteries cessait des deux côtés.

Aussitôt, et par un effet de curiosité bien naturel chez des adversaires habitués à s’observer toute la journée, le doigt sur la détente, les parapets se garnirent de têtes, les tirailleurs sortirent de leurs abris, les artilleurs grimpèrent sur les flasques des affûts, et dans les tranchées françaises, les plaisanteries commencèrent à circuler.

Un officier russe se montra debout sur la plongée de Malakoff et près