Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— D’après l’âge que tu lui attribues, ce doit être lui : il avait six ou sept ans en 1812, il aurait aujourd’hui de quarante-huit à cinquante ans.

— Il faut avouer, déclara Pierre, qu’il y a de ces hasards qu’on peut appeler providentiels… Ce brave Yvan ne s’est guère douté que, parmi les cavaliers qui sabrèrent ses canonniers l’autre jour, il y avait l’un des fils du colonel Cardignac : mais nous n’allons pas en rester là, mon commandant ; j’espère bien que vous allez essayer de renouer connaissance avec lui.

— Certes, dit le commandant, et je profiterai pour cela de la première suspension d’armes.

L’occasion ne devait pas s’offrir avant Inkermann.

Inkermann, mes enfants, c’est une vraie bataille, et une bataille qui faillit mal tourner pour les Anglais, malgré leur bravoure, bravoure que je n’ai jamais mise en doute. Ils n’étaient, ce jour-là, que douze mille contre trente-six mille.

Les Russes les avaient attaqués au petit jour, profitant du brouillard, et leurs boulets tombaient dans le camp anglais, que nombre de soldats y dormaient encore à poings fermés.

Car, vous le savez déjà, les Anglais ont le sommeil dur.

Au début de l’action, le général Bosquet avait offert au général anglais, G. Cathcart, l’aide de sa division.

— Merci, avait répondu ce dernier, nos réserves sont suffisantes, veuillez seulement couvrir notre droite.

Mais vers neuf heures du matin, Cathcart était tué. Débordés par les Russes, écrasés par des forces supérieures, les Anglais étaient obligés de reculer, et Lord Raglan faisait demander de l’aide au général Bosquet.

— Je le savais bien ! s’écria ce dernier.

Et il lança en avant le 6e de ligne, le 7e léger, puis, successivement, le 3e bataillon de chasseurs, le 3e zouaves et un bataillon de turcos.

Quand les Anglais décimés entendirent les clairons de l’infanterie française, ils y répondirent par des acclamations, et quand « les pantalons rouges » passèrent près d’eux en courant, ils saluèrent et applaudirent.

« Hurrah for French ! »

Comme il est salutaire et consolant, mes enfants, de se reporter à ces souvenirs de confraternité d’armes, lorsqu’on voit le triste revirement d’aujourd’hui et qu’on entend dans la bouche des fils de nos alliés d’alors, le cri haineux de « sus à la France ! »