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Soudain, le regard du commandant se fixa sur une autre image, et, ayant essayé de déchiffrer l’inscription en caractères grecs qu’elle portait, il eut un geste de surprise :

— Ah ! par exemple, fit-il, on me l’avait affirmé, mais je ne le croyais pas.

— Quoi donc, mon commandant ?

— Sais-tu qui représente ce portrait que tu as pris pour celui d’un saint ?

— C’est vrai qu’il a une drôle de coiffure : on dirait un chapeau de général.

— Rien d’étonnant à cela : ce chapeau est le légendaire petit chapeau, et cette figure grossièrement dessinée est celle de Napoléon.

— Napoléon ! votre parrain ?

— Lui-même.

— Ça ! c’est renversant !

— Moins que tu ne le crois. Je savais déjà que le grand Empereur avait laissé en Russie des traces profondes dans l’esprit du peuple : il s’est créé une vraie légende autour de son nom et, dans beaucoup d’isbas, son portrait figure à côté de celui du Tsar.[1]

— Alors, mon commandant, ce papier écrit en russe parle peut-être de lui et peut contenir des détails curieux.

— C’est fort possible : je prierai l’interprète du quartier général de me le traduire.

Pierre ne songeait plus à cette conversation, lorsque le commandant Cardignac, quelques jours après, au retour d’une corvée de fourrage, l’appela du plus loin qu’il l’aperçut : il tenait à la main le papier parcheminé et jauni dont l’interprète venait de lui donner la traduction.

— Tu ne peux te douter, Pierrot, de l’intérêt extraordinaire qu’a pour moi ce papier que tu as failli garder pour toi sans m’en parler.

— Vraiment ! mon commandant.

— Figure-toi qu’il y est question de mon père.

— Le colonel !… est-ce possible ?

— Il n’y a aucun doute : il y est nommé en toutes lettres : écoute cette traduction.

  1. C’est encore vrai aujourd’hui.