Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Où sont vos chasseurs ?

— En haut, mon général.

— Alors je vais faire passer l’artillerie : si elle peut vous rejoindre, vous lui servirez de soutien.

— Commandant Barrai, poursuivit-il, en s’adressant au chef d’escadron qui commandait l’artillerie, faites d’abord passer une pièce : si elle arrive, les autres suivront.

Et ce fut un spectacle extraordinaire que celui dont furent témoins les acteurs de la lutte sur ce point du champ de bataille.

Les artilleurs descendirent des coffres de l’avant-train : la pièce passa le gué, puis à travers la broussaille et les pierres, guidés par le commandant Cardignac qui leur montrait l’origine du sentier, les conducteurs lancèrent leurs chevaux à plein collier, sur cette pente abrupte.

Mais lorsqu’ils eurent franchi les cent premiers mètres de la rude montée, les attelages durent s’arrêter, ramenés en arrière par le poids du canon.

Ce fut alors que les zouaves s’attelèrent à la pièce ; poussant aux roues, s’arc-boutant de l’épaule au coffre de l’avant-train et aux flasques de l’affût, ils la soulevèrent, la hissèrent, et la firent parvenir d’une poussée irrésistible jusqu’au sommet du plateau.

Aussitôt l’avant-train fut séparé de la pièce et cette dernière, mise en batterie, fut pointée sur les Russes, qui n’en purent croire leurs oreilles en entendant, de ce côté, la détonation du canon.

Pendant ce temps, les tirailleurs du 2e zouaves, gagnant encore du terrain, engageaient, avec leurs carabines rayées, un feu dont la portée déconcertait l’ennemi.

Car, si les canons n’étaient pas encore rayés en 1854, les armes portatives l’étaient déjà, et les zouaves, ainsi que les chasseurs à pied, en étaient munis.

Parmi les Anglais, les corps pourvus de cette arme perfectionnée, qui eut une grande part dans le gain de la bataille, s’appelaient des régiments de Riflemen.

Un hurrah de triomphe accueillit de l’autre bord l’apparition du premier canon sur le plateau, et aussitôt le reste des batteries se hâta vers le même chemin. En arrivant au pied des pentes, elles furent entourées d’une grappe humaine, et, le prodige se renouvelant pour chacune d’elles, douze pièces tonnèrent bientôt sur le plateau.