Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Déjà le fait s’était produit l’avant-veille : sous prétexte que leur matériel n’était pas complètement débarqué, nos alliés avaient fait perdre un jour, sur la plage d’Old-Fort, et les Russes avaient profité de ces vingt-quatre heures pour fortifier leurs positions.

À neuf heures, l’ordre n’étant pas venu de reprendre la marche, le général Bosquet fit faire le café à sa division. Ce retard était regrettable, car le brouillard qui eût permis de s’approcher de la position ennemie sans rien lui révéler des dispositions prises pour l’attaque, allait se lever.

À dix heures, pour tromper l’attente de plus en plus fiévreuse des soldats, le général Bosquet fit faire un deuxième café.

À onze heures, l’impatience devint générale, et, dans tous les régiments, ce fut un tollé contre ces alliés, grands mangeurs, grands buveurs et surtout grands dormeurs, qui allaient, par leur lenteur, compromettre le succès de la bataille.

Maintenant en effet on voyait distinctement, à quatre kilomètres, les lignes sombres des Russes bordant les crêtes, et eux, de leur côté, pouvaient discerner la disposition en losange, prise par l’armée française pour les aborder.

Quelques officiers faisaient en outre observer qu’on ne commence pas une bataille à midi quand on veut obtenir un succès décisif, parce que la nuit peut arriver avant que le résultat soit atteint. Et pourtant on ne pouvait pas livrer la bataille sans les Anglais qui formaient la gauche de la ligne.

À onze heures et demie, le Maréchal Saint-Arnaud, impatienté, énervé et déjà atteint de la grave maladie qui allait l’emporter quelques jours après, se dirigea vers les zouaves du colonel Cler qui marchaient en tête de la colonne Bosquet.

— Vous trouvez le temps long, n’est-ce pas, mes enfants ? leur dit-il.

— Pour sûr, mon général.

— Eh bien, prenez un café en attendant.

— Nous sortons d’en prendre pour la deuxième fois, répondirent-ils.

— Pour la deuxième fois ?

— Oui, mon général, ça fait même la troisième avec celui de ce matin.

— Bon, alors je vous paierai la goutte quand nous serons là-haut.