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d’entre eux qui savaient lire et écrire, ceux qui savaient nager ; ceux sur lesquels il pouvait compter comme ouvriers en bois ou en fer : il était donc à même d’utiliser chacun d’eux suivant ses aptitudes, employant celui-ci à un service de patrouilleur et celui-là à la confection du rata. À un autre, il avait confié une petite trousse de pansement, apportée de France, et, grâce à lui, n’avait pas besoin du médecin ou du vétérinaire pour les blessures légères qu’il jugulait avant qu’elles devinssent sérieuses. Dans son peloton, chacun avait sa spécialité, et, dans les moments de fatigue, il avait une bonne parole, un encouragement pour tous, leur parlant de la France, du pays et de leurs parents ; en un mot adoré de ses cavaliers, comme l’avait dit Cardignac.

Lorsque le Maréchal de Saint-Arnaud avait passé en revue les troupes campées à Varna, pour désigner celles qui devaient être embarquées de suite, l’aspect de l’escadron de Henri l’avait frappé : il avait fait à son commandant, (l’escadron n’avait plus de capitaine), les plus chaleureux compliments pour la tenue des hommes et le bon état des chevaux ; puis il avait décidé qu’il serait embarqué le premier et lui servirait d’escorte, tout en participant au service d’exploration en avant de l’armée.


Le 19 septembre, l’armée française, forte de quatre divisions, levait le bivouac d’Old-Fort et se mettait en marche sur Sébastopol, en côtoyant la mer. L’armée anglaise marchait à sa gauche, et les navires de la flotte, longeant le rivage d’assez près, flanquaient sa droite : les chasseurs d’Afrique précédaient la division du général Bosquet, et trois de leurs pelotons, espacés sur un front de quatre kilomètres, exploraient le terrain.

À midi, l’armée avait parcouru, seize kilomètres : soudain le lieutenant de Sauterote, qui était au centre de la ligne des patrouilleurs, accourut, bride abattue, vers le commandant Cardignac qui était resté en réserve en arrière, avec le quatrième peloton.

— Mon commandant, lui dit-il, l’armée russe tout entière est devant nous sur cette ligne de hauteurs, à huit kilomètres d’ici. Je me suis avancé, sans être vu tout d’abord, jusqu’à quinze cents mètres de leurs bivouacs ; je les ai reconnus, et, grâce à la vigueur de mes chevaux, j’ai pu, ma reconnaissance terminée, échapper à deux sotnias de cosaques qui ont poursuivi mon peloton. Voilà le croquis du village, situé en face de nous, au pied des pentes :