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— Mon capitaine ne reconnaît pas ?

— Non, je vois seulement que ce bonhomme-là fait une affreuse grimace.

— Mais c’est moi, mon capitaine, ce bonhomme-là !…

— Je te crois sur parole, Bouloche… Eh ! mais c’est un travail dans le genre de ceux de Daguerre, dit l’officier en examinant de plus près la surface polie du carton, et c’est la première fois que je vois un portrait de ce genre ailleurs que sur du verre ou du cuivre. Qui a fait cela ?

— C’est M. Blanquart-Evrard, un monsieur venu de Lille, et il m’a dit de vous le montrer.

— Il a su te prendre doublement, celui-là, Bouloche : comme il t’a fait ton portrait, tu ne l’as pas mis à la porte !…

— Mon capitaine peut croire que je n’y mets plus personne depuis que j’ai été arrangé par mon capitaine…

— Bon ! laisse-moi ce portrait et introduis ce monsieur quand.il viendra : dans tous les cas, tu n’es pas beau, je te préviens.

— Ça ne fait rien, je suis rudement content !

Ce n’était pas de la faute de Bouloche s’il n’était pas beau et vous trouverez sa grimace bien naturelle, mes enfants, en songeant qu’il fallait alors poser devant l’objectif pendant plusieurs minutes.

Songez aux progrès réalisés, puisque, aujourd’hui, non seulement le photographe vous prend sans que vous ayez le temps de bouger, mais puisqu’on arrive à obtenir plusieurs centaines de clichés de la même scène en une minute : plus de neuf cents.

C’est en faisant ensuite dérouler sous vos yeux ces clichés, vivement éclairés et à raison de trente par seconde, temps nécessaire pour que la rétine éprouve une impression continue, que le cinématographe reproduit fidèlement les tableaux les plus variés.

Il y avait longtemps que Niepce et Daguerre, deux Français, avaient trouvé, le premier le moyen de fixer les images de la chambre noire sur du bitume de Judée, le second, la propriété de l’iodure d’argent de s’impressionner à la lumière et de se révéler par les vapeurs du mercure.

Mais il fallait des poses d’un quart d’heure au moins, en pleine lumière, et nul n’eût pu y résister.

Ce fut un autre Français, Claudet, qui découvrit les substances accélératrices et réduisit le temps de pose à une minute ou deux.