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ma grande fille, et vous allez voir si je vous mène auprès d’un bon grand-père et d’une bonne grand’maman.

Le lendemain, assis tous deux sur des peaux de mouton, installés dans une prolonge que traînaient des mulets du train, Lucienne et Pierre Bertigny voyaient le convoi d’escorte se dérouler dans un nuage de poussière : Constantine, avec la vision d’horreur qu’ils en emportaient, se noyait bientôt dans la brume bleue de l’horizon.

Ils étaient en route pour la France.

Et ce fut au cours du trajet de Constantine à Bougie un enchantement pour le petit Pierre.

En effet, son tempérament de petit diable élevé au grand air, l’inaction forcée, l’ennui d’être assis dans un fourgon lui pesaient ; mais son sauveur, son grand ami, le capitaine de spahis s’en était rendu compte, et ce fut assis devant l’officier, sur le paquetage de son grand cheval noir, que Pierrot fit la plus grande partie des étapes.

Vous pensez s’il était fier et content !…


Qui fut stupéfait, mes enfants ? Ce fut, je vous l’assure, le colonel Cardignac, lorsqu’il vit arriver son fils, capitaine, en compagnie de deux enfants.

— Me voilà, père ! s’était écrié Henri. Ne crois pas que je sois marié ; mais je suis tout de même père de famille.

Et après avoir entendu raconter l’histoire dans tous ses détails, la bonne maman Lise dit simplement :

— C’est bien, mon Henri ; tu es un brave cœur ; viens que je t’embrasse comme je t’aime.

Alors, dans un noble mouvement de fierté maternelle, elle étreignit longuement contre son cœur, ce grand officier, son fils !

— Oui, poursuivit-elle en souriant, c’est dans la logique même des choses : à une famille comme la nôtre — famille de soldats — il devait arriver des petits enfants apportés par la guerre… Viens, ma petite Lucienne, reprit-elle après un silence ; viens : tu es ma petite fille ! Quant au colonel, il considérait le petit Pierre qui semblait tout interloqué ; puis, se penchant, il l’attira à lui, entre ses genoux.

— Alors, tu t’appelles Pierre ?

— Oui, monsieur.