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Cette cérémonie, qui eut lieu le lendemain, fut empreinte du caractère le plus grandiose, le plus imposant qu’on pût rêver.

Les cercueils des braves tombés à l’ennemi, furent placés côte à côte, sous un catafalque improvisé par le génie, et composé de gabions, de sacs à terre.

Les régiments décimés s’alignèrent devant eux ; les tambours, recouverts de crêpe, roulèrent lugubrement, les drapeaux s’inclinèrent devant ces morts glorieux, puis on les inhuma dans le fossé, près de la fameuse brèche, à côté de l’endroit où reposait déjà le père des malheureux enfants sauvés par Cardignac.

Après quoi, l’armée victorieuse défila devant les fosses profondes, au bruit des salves d’honneur, dernier adieu jeté par elle à ceux qui meurent pour la patrie.

Seul, le cercueil du général Damrémont resta sous le catalfaque, gardé par des soldats appartenant à tous les corps de la garnison : car l’ordre venait d’arriver de le ramener en France.

Ce fut notre ami Henri que le général Valée chargea de cette mission.

Un bataillon du 11e de ligne, un bataillon de zouaves, un escadron de chasseurs d’Afrique et un peloton de spahis, devaient l’escorter jusqu’à l’embarquement.

Henri, qu’obsédait la pensée de sauver à tout prix ses petits protégés, et qui se sentait maintenant attaché à ces enfants par une affection quasi paternelle, entra rayonnant, la veille du départ, dans la tente qu’il avait fait dresser près de la sienne pour la sœur et le frère.

— Vous avez l’air bien heureux, monsieur le capitaine, dit Lucienne en l’apercevant.

— Oui, certes, mon enfant ; j’ai obtenu un résultat inespéré. Le général en chef m’autorise à vous emmener en France avec moi.

— Oh ! s’écria-t-elle, ne sachant pas au juste si elle rêvait ; oh ! est-ce vrai, est-ce possible ?

— Tout ce qu’il y a de plus exact. Es-tu content, petit Pierre ?

Le gamin ne répondit pas ; il était peu loquace, ce petit Pierre ; mais, s’approchant, il tendit simplement son front aux boucles brunes et Cardignac l’embrassa.

— Et vous aussi, Lucienne, je veux vous embrasser ; vous êtes maintenant