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Une détente s’était opérée en lui ; à son âge, la secousse morale éprouvée avait été trop violente et devait être fatalement suivie d’un abattement profond.

Pourtant on sentait de l’énervement jusque dans son sommeil ; il avait parfois des sursauts rapides comme si un cauchemar l’eût hanté.

Sa sœur était assise auprès de lui, sur le pliant de campagne du lieutenant. Le coude au genou, la joue appuyée sur la main, elle pleurait, silencieuse, tout en surveillant le sommeil du bambin.

— Eh bien, mon enfant, êtes-vous un peu remise ? demanda Henri d’une voix très douce.

La fillette sursauta, tirée subitement de sa douloureuse rêverie ; mais reconnaissant l’officier, elle se leva, courut à lui et lui prenant les mains elle y appuya son front brûlant. Les sanglots la reprirent :

— Monsieur l’officier ! balbutiait-elle !… merci ! Oh ! que vous êtes bon ! Comme vous êtes brave et bon !… Merci ! merci !… Puis, tout bas, elle murmura :

— Et notre pauvre papa ?

— J’ai fait le nécessaire, ma pauvre petite ; tranquillisez-vous.

C’était vrai : avant de rentrer, Henri avait fait ensevelir le malheureux dans un coin du fossé, non loin de la brèche.

Voulant chasser du cœur de l’enfant les tristes pensées qui l’assaillaient, il l’entraîna, la fit se rasseoir, et s’asseyant lui-même sur une caisse à biscuits, face à la petite désespérée :

— Allons, ne pleurez plus, ma pauvre enfant et racontez-moi par suite de quelles circonstances vous étiez ainsi prisonniers à Constantine. Parlez sans crainte ! Vous savez bien que je suis votre ami…

— Oh ! oui, je le sais.

Et elle dit leur triste odyssée :

Elle avait quatorze ans, son frère six ans et demi ; ils se nommaient Lucienne et Pierre Bertigny. Leur père était un propriétaire viticulteur des environs de Dijon ; il exploitait son petit domaine avec sa femme, leur mère, morte, hélas ! presque en arrivant en Algérie, victime des fièvres.

C’était une famille autrefois fortunée, heureuse et jouissant de l’estime publique : l’enfance de Lucienne avait été choyée ; elle avait reçu une bonne éducation, et sans doute ils seraient toute leur vie restés en Bourgogne, si