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— Alors, dans ce cas, tout est pour le mieux ! répondait Jean en riant. Si l’on faisait colonne dans les marais :

— Eh bien ! Bouloche, qu’est-ce que tu dis du pays ? demandait Jean.

— Mon lieutenant, j’vas vous dire une bonne chose, mais c’est vraiment un sale pays. C’est pas pour dire, mais j’peux quasiment pas arriver à faire briller vos bottes. Cheux nous, c’est pas pour dire, i’fait pas si humide que ça ! N’empêche ! j’vas vous dire une bonne chose : j’suis tout plein content !

Dans la montagne, on rencontrait parfois de la neige, et Bouloche, soufflant dans ses doigts, déclarait :

— Mon lieutenant, c’est pas Dieu possible que n’y ait comme ça d’Ia neige en Afrique ! Cheux nous, à Rouen, y en a bien de la neige, mais c’est pas la même ! N’empêche ! j’vas vous dire une bonne chose : j’suis vraiment content : y a pas d’erreur !

Une chose l’inquiétait pourtant, et il s’en ouvrit à Jean Cardignac :

— Mon lieutenant, questionna-t-il, c’est tout d’même pas naturel ces moricauds d’Arbis, qu’ils ont pris n’eune femme pour les commander ?

Du coup l’officier ahuri de la question, regarda son brosseur et se demanda si Bouloche n’avait pas reçu un coup de soleil trop vif sur le crâne, ou bien encore s’il ne se moquait pas de lui.

Mais non, Bouloche était parfaitement sain d’esprit ; du reste, en son âme candide et simple, il ne se fût pas permis une plaisanterie déplacée.

— Que veux-tu dire ? Je ne saisis pas bien, dit enfin Jean rassuré.

— Mon lieutenant, j’vas vous dire une bonne chose : j’entends toujours parler de la belle Kadère.

Jean Cardignac faillit étouffer de rire ; mais un de ses collègues, lieutenant comme lui à l’état-major de Bugeaud, venait d’entrer dans le gourbi où se passait la scène. Voulant s’amuser de la naïveté du soldat, il intervint, et avec un imperturbable sérieux :

— Mon garçon, tu t’étonnes de bien peu de chose. La belle Kadère fait partie des tribus du Sud, dans lesquelles il n’y a que des femmes et pas d’hommes. C’est donc très naturel qu’on ait nommé l’une d’elles général en chef, à cause de sa beauté, comme son nom l’indique, puisque, comme tu le dis fort bien, elle se nomme la belle Kadère. Du reste, tu la verras sous peu, car le général Bugeaud va sans doute signer avec elle un traité de paix.