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dominaient le gouvernement et la société d’alors. — L’argent n’était pas le maître tyrannique qu’il est devenu aujourd’hui dans un monde trop avide de bien-être et que la guerre un jour réveillera de sa torpeur maladive.

Le ministre de la guerre Servan écrivit en effet à Dumouriez, la veille de Valmy :

« Ne ménagez ni les moyens ni les courriers pour assurer votre subsistance ; c’est le moment de prouver que nous ne prisons l’argent qu’autant qu’il peut nous assurer la liberté. Soyons libres, et bientôt nous deviendrons riches ! »

En quittant le digne homme, Jean obliqua un peu à gauche pour se rapprocher des bois.

La lettre qu’il portait au général Dumouriez était pliée en quatre et cachée dans les plis de la toque de fourrures qu’on lui avait prêtée.

— Qu’on essaye de me la prendre ! murmurait-il…, il n’y fera pas bon !… Et puis, ça m’est égal, je l’ai si bien lue et relue que je la sais par cœur.

Jean marcha ainsi une heure sans rencontrer personne, si ce n’est des cultivateurs qui, malgré la présence imminente de l’ennemi ou même à cause de cela, se hâtaient de rentrer leurs récoltes pour les envoyer sur Châlons. Ainsi l’avait demandé Dumouriez, et dans cette patriotique région, il fut religieusement écouté : sa population valide s’était enfoncée dans l’Argonne avec tous les vivres qu’elle avait pu emporter :

« La malveillance de ces gens-là, écrivait naïvement Lombard, secrétaire du roi de Prusse, nous enlève la paille, la saine nourriture et toutes les ressources qui pourraient diminuer nos maux. »

Jean s’enquit de sa route auprès d’un paysan qu’il rencontra et constata qu’il était dans la bonne direction.

Tout à coup, comme il venait de contourner une partie de la forêt qui avançait en pointe vers la vallée, il aperçut, sortant d’un sentier boisé, cinq cavaliers qui, en le voyant, prirent le trot et se dirigèrent vers lui. Jean s’arrêta.

Il venait de reconnaître l’uniforme qu’il avait déjà remarqué sur plusieurs blessés, après le combat de la Croix-aux-Bois, et cet uniforme l’avait fort impressionné à cause de la tête de mort qui ornait la plaque du haut shako.

C’était celui des « hussards de la mort » prussiens.