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Mais il se dit bien vite que si cette colonne était prussienne, les sentinelles françaises, établies en avant des postes, à la lisière des bois, l’auraient déjà signalée. D’ailleurs les mots de ralliement s’échangeaient déjà, et Jean entendit les nouveaux arrivants crier : France ! C’étaient donc des soldats français.

Mais quels soldats !

Et l’enfant vit, pour la première fois, à quel degré de lâcheté peut arriver une troupe qui n’a pas confiance en ses chefs, et que la discipline n’a pas prémunie contre les paniques et la peur.

C’était la garnison de Verdun qui, après la triste capitulation de la ville, battait en retraite sur Châlons.

Il y avait là quatre bataillons, portant des noms de départements français, et je ne vous les citerai pas, mes enfants, parce que je ne voudrais pas laisser dans votre mémoire les noms des régions qui avaient fourni ces lamentables soldats, régions qui d’ailleurs, à d’autres époques ou en d’autres lieux, ont certainement fourni des héros à notre armée ; mais sachez, par le tableau qu’offrait cette marche honteuse de gens décidés à ne plus se battre, quelle chose déshonorante est la peur !

L’histoire militaire de la France, d’ailleurs, si elle fourmille de traits de courage, a enregistré aussi, à toutes les époques, des défaillances regrettables ; un vrai Français doit les connaître pour les éviter.

On appelle « chauvins » ceux qui affirment à tout propos que leur pays est le premier de tous par la bravoure et les succès de toutes sortes. Ne soyez pas chauvins, mes enfants, c’est-à-dire de ces aveugles volontaires qui ne veulent pas reconnaître les défectuosités de notre organisation ou les tristesses de notre histoire. Ce sont les chauvins qui mènent aux pires désastres. Ils crient et ne raisonnent pas. Ils déclament et ne travaillent pas.

Plus tard, lorsqu’il traversa les plaines glacées de Russie, suivi par les débris encore compacts des braves qui restaient de son régiment, Jean Cardignac devait se souvenir de cette débâcle des volontaires de Verdun, et surtout se remémorer la profonde émotion qu’elle amenait à sa suite.

Les bataillons dont il s’agit avaient, de par la capitulation conclue avec les Prussiens, conservé leurs armes, mais déjà la plupart des soldats les avaient jetées. « Nous ne voulons plus nous battre, dirent-ils en arrivant au Poste de garde ; en nous trouvant désarmés, les Prussiens nous épargneront ! »