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— Comment ! s’écria Jean ; il va rester sur cette terre maudite ? son corps ne va pas être rendu à la France ?

— Lui-même, en se sentant mourir, a demandé pour ses restes le retour de l’exil :

« Je désire, dit-il dans son testament, que mon corps repose sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »

— Croyez-vous, monsieur le Maréchal que ce vœu soit respecté ?

— Il le sera, mais plus tard, quand les haines auront eu le temps de s’apaiser, quand la France oubliant ses blessures cicatrisées, ne songera plus qu’aux souvenirs glorieux qu’elle lui doit !

Les deux soldats se quittèrent après une dernière étreinte.

Ce jour-là, de retour à Saint-Cyr, Jean Cardignac réunit tous les siens et appela ses deux fils qui chaque soir revenaient du Lycée de Versailles.

Henri et Jean allaient avoir quatorze ans.

Tout frémissant encore du récit qu’il venait d’entendre et vibrant de la plus intime émotion, le colonel retraça devant eux les derniers moments de l’Empereur.

Tous l’écoutèrent dans un silence religieux, Jacques Bailly rêveur, Catherine et Lisette les yeux mouillés de larmes, Henri et Jean sérieux et graves.

Quand il eut terminé :

— C’est un chapitre de notre histoire qui vient de s’achever, conclut-il. Le passé militaire le plus glorieux qu’ait jamais connu une nation est scellé dans cette tombe, et ma vie militaire a pris fin avec celle du Maître à qui je l’avais consacrée.

« Mais si je me suis dévoué à un homme, parce qu’à mes yeux il représentait la Patrie, il n’en peut être de même pour vous, mes enfants ; c’est à la France et à la France seule que vous vous devrez désormais !

« Vous ne connaîtrez pas nos chevauchées guerrières à travers l’Europe, nos triomphes et surtout notre confiance aveugle dans l’étoile d’un chef ; c’est chose qu’on ne reverra plus ; mais vous ne connaîtrez pas non plus, je l’espère pour mon pays, les deuils et les désastres dus à l’excès même de nos victoires.

« Vous entrerez dans une armée toute nouvelle, formée dans la période de recueillement qui suit les grandes défaites et le moment est loin sans doute