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général prussien, un sous-officier apporta à l’État-Major du maréchal un certain nombre de lettres et d’objets trouvés sur des officiers français restés sur le terrain : l’ordre en avait été donné parce qu’on comptait trouver sur eux des documents concernant le complot qui avait abouti au retour de l’île d’Elbe. Jugez de ma stupeur en découvrant parmi ces objets ce médaillon ! c’est-à-dire le portrait de sa femme que mon fils avait religieusement emporté avec lui.

Et le vieillard tendit à Jean Cardignac la miniature que Lisette avait, soit par mégarde, soit par un véritable instinct divinatoire, placé avant son départ dans le plastron de la tunique de son mari.

— Le reconnaissez-vous, demanda le vieillard tout haletant, et pouvez-vous me dire de qui vous le tenez ?

— Certes, répondit Jean, je me souviens comme d’hier de l’incident de guerre qui me valut la possession de cette miniature. C’était le 15 septembre 1792, je voyais le feu pour la première fois, à la reprise du défilé de la Croix-au-Bois par le général Chazot. L’ennemi était repoussé et je m’occupais de porter secours à des blessés étendus dans une grange remplie de paille. L’un d’eux, frappé à mort attira mon attention. C’était un jeune officier à moustaches blondes, aux yeux bleus, très mince, d’une pâleur de cire ; il me demanda à boire et je lui en apportai. Mais à peine eût-il bu quelques gouttes qu’il entra dans une courte agonie ; j’avais alors douze ans : sans doute la vue d’un enfant lui inspira l’idée de me donner ce médaillon, car il me le tendit en disant ce seul mot : Saalfeld !

— Saalfeld ! répéta le vieillard dont la voix était devenue tremblante : c’est là, en effet, qu’est notre château et qu’il avait laissé sa jeune femme. C’était donc bien lui !…

— Il rendit le dernier soupir en me regardant, poursuivit le colonel, et je me souviendrai longtemps de l’impression que me causa cette mort, une des premières que je voyais de près.

— Et pouvez-vous me dire, interrompit le général von Schmetten, où son corps a été enseveli ?

— Hélas, reprit Jean, je ne me souviens que trop de l’affreux moment qui suivit. Vous me demandez la vérité, la voici : votre fils, général, n’a pas eu de sépulture.

— Que dites-vous ?