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Le porte-drapeau s’avança à son tour et inclina son aigle. Napoléon embrassa trois fois l’écharpe avec émotion :

— Ah ! chère aigle ! dit-il d’une voix gonflée de sanglots, que les baisers que je te donne retentissent dans la postérité !

Et, après une pause :

— Adieu, mes enfants ! dit-il d’une voix étouffée.

Le général Petit et le porte-drapeau pleuraient à chaudes larmes et beaucoup de grenadiers avec eux.

Ce fut au milieu d’un silence impressionnant au plus haut point que Napoléon gagna la grille de la cour.

Il allait monter en voiture avec le baron Koller, commissaire autrichien, et le général Drouot, lorsque, tête nue et en proie à une vive émotion, Jean Cardignac l’aborda :

— Sire, dit-il d’une voix qui tremblait, j’ai été comblé de faveurs par Votre Majesté : accordez-moi la dernière, celle de vous suivre…

Napoléon, levant les yeux, vit les épaulettes à graines d’épinards ; et aussitôt :

— Je ne le puis, mon brave ; les six compagnies qui me sont laissées n’ont que des capitaines et un seul chef de bataillon. Mon pouvoir ne va plus jusqu’à leur donner un colonel.

— Sire, rappelez-vous Jean Cardignac que vous avez fait officier au retour d’Égypte et colonel du 1er Grenadiers après la Moskowa : c’est moi. Je viens de Russie, j’ai subi deux ans de forteresse en Allemagne. Je suis évadé d’hier et pour suivre Votre Majesté je redeviendrai s’il le faut, dans votre garde, Jean Tapin, le petit sergent de l’Orient.

La figure de l’Empereur s’éclaira.

— Comment ! fit-il, c’est toi !…

Et se tournant vers le comte Bertrand :

— Le colonel Cardignac sera des nôtres, dit-il. Vous le comprendrez parmi les officiers de ma maison.

Et, d’une voix très douce, lui donnant à dessein l’appellation d’autrefois :

— À bientôt, mon enfant ! dit-il.

Les voitures s’ébranlèrent et disparurent au tournant du parc.

L’Empereur était en route pour l’exil.

Le soir même, Jean Cardignac franchit à franc-étrier les soixante kilo-