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Le père Bataille hocha douloureusement la tête.

— Je le voudrais comme vous, dit-il, mais avouez qu’il a été bien imprudent et terriblement ambitieux, notre Empereur. Lorsque plus tard on calculera le nombre d’hommes qu’il a fait tuer, on sera effrayé.

— Ce n’est pas payer trop cher la gloire qu’il a donnée à notre pays ! reprit Jean avec véhémence ; les peuples ont besoin de gloire, comme les hommes ont besoin de pain : quelle nation aura jamais parcouru l’épopée guerrière que nous venons d’écrire avec Lui ; et cela, père Bataille, c’est de l’histoire, et de l’histoire qui restera.

— C’est vrai ; il aurait seulement dû s’arrêter à temps, c’est-à-dire avant cette malheureuse campagne de Russie, reprit tristement le vieux.

— Vous l’avez dit, père Bataille ; si nous avions conservé les Russes pour alliés, nous pouvions avec eux narguer le reste de l’Europe, Anglais compris !

— Ah oui, les maudits Anglais ! fit le vieillard en serrant les poings ; tout le mal vient d’eux. Ce sont les ennemis acharnés de la France depuis bien, bien longtemps, depuis notre bonne Lorraine, Jeanne d’Arc… Mais voyez-vous, mon enfant, malgré ses fautes, on l’aime bien, l’Empereur, car s’il vous a donné de la gloire à vous autres soldats, à nous il a donné du bien-être et du travail ; de plus il nous a rendu l’ordre et avec lui nous avions assez de liberté. Alors, oui, on lui pardonnera tout et le peuple en parlera longtemps.

— Dites qu’il ne l’oubliera plus, père Bataille ; et maintenant il faut que vous m’aidiez à le rejoindre. Il faut qu’aujourd’hui vous me mettiez encore sur la bonne route, comme vous l’avez déjà fait jadis quand je portais une dépêche à Dumouriez ; mais, surtout, il faut que vous me donniez des vêtements autres que ceux-là.

— Je vais vous donner ceux de mon gendre qui est parti à la dernière conscription… pourvu qu’il n’ait pas été tué à Fère-Chapenoise !

— Il y a donc eu un combat là, dernièrement ?

— Oui, il y a quinze jours environ ; des gardes nationaux mobilisés, enrôlés depuis huit jours, et sachant à peine tenir un fusil, sont tombés au milieu de l’armée russe.

— Pauvres gens !

— Ils ont refusé de se rendre et sont tombés jusqu’au dernier en criant : « Vive l’Empereur ! »