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Mais jetant, dès son entrée, un regard rapide autour de lui, Jean avait aperçu l’or que le Juif essayait de dissimuler. Son parti fut pris aussitôt : cet or, sans lequel il ne pouvait recouvrer sa liberté, il le lui fallait, de gré ou de force.

— Je veux acheter un habillement complet pour voyager, dit-il en allemand, et te céder celui-ci en échange.

Machinalement, tout en parlant, il avait mis les mains dans ses poches : soudain il sentit sous ses doigts, dans l’une d’elles, une lourde bourse de cuir. Il la tira, l’ouvrit ; elle contenait des napoléons, c’est-à-dire de l’or français, et du premier coup d’œil, Jean estima qu’il y en avait pour plus de 2,000 francs.

Assurément son geôlier portait constamment sur lui tout son avoir, et cette petite fortune provenait vraisemblablement de prisonniers français dépouillés ou rançonnés.

Le Juif, lui aussi, avait vu la lourde bourse et entendu le scintillement des pièces d’or. Sa figure ridée s’éclaira et son sourire devint plus obséquieux encore.

— Si votre seigneurie veut bien passer dans mon magasin, dit-il ; j’ai le plus bel assortiment d’habits et d’uniformes de toute la ville.

Uniforme ! le mot frappa Jean Tapin.

Ne serait-il pas cent fois plus en sûreté sous un uniforme d’officier étranger, à cette heure troublée où les armées parcouraient l’Europe comme des météores, où le culte de la force était le seul reconnu et où le meilleur des laissez-passer était certainement un sabre sonnant brutalement sur les pavés ?

Du premier coup d’œil, d’ailleurs, dans le capharnaüm où il pénétra, il fut hypnotisé par un superbe uniforme vert foncé, aux lourdes torsades d’or, qu’il reconnaissait pour être celui des grenadiers de la garde russe. Le sabre à poignée de cuivre ciselé et doré pendait au ceinturon de cuir rouge et un bonnet de fourrure noire, assez haut, orné de l’aigle à deux têtes, couronnait le tout.

— Voilà ce que je veux ! dit Jean sans hésiter.

Le Juif eut un soubresaut d’étonnement.

— Mais votre seigneurie avait dit un vêtement de voyage, objecta-t-il.

— Je te dis que je veux cet uniforme ! répéta notre ami d’un ton qui n’admettait pas de réplique.