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Lorsque le passage fut praticable, ce fut, pour traverser, une ruée sauvage ; et plusieurs fois les ponts fléchirent sous le poids des chevaux, des voitures et des hommes.

On exécutait les réparations ; et le passage continuait lamentable, lugubre, accompagné de la fusillade et du bruit du canon.

Car les troupes du maréchal Victor maintenaient les Russes, pour protéger l’armée, qui franchissait la Bérésina.

Mais, malgré tous leurs efforts, les Russes se rapprochaient.

Bientôt leurs boulets tombèrent jusque sur les ponts !

Ce fut épouvantable !

Les traînards, pour passer quand même, se jetaient à l’eau.

La sinistre rivière dont le nom résonne si lugubrement encore aujourd’hui dans la mémoire des Français, se mit à rouler au milieu de ses glaçons et des débris de toutes sortes, des cadavres rigides d’hommes et de chevaux.

Aux côtés de Napoléon, Jean Cardignac assistait, épouvanté, à cette scène atroce.

Nous parvînmes cependant à repousser l’ennemi : la nuit tomba et avec elle cessa la bataille.

Le lendemain matin, on dut sacrifier sept à huit mille hommes restés en arrière, et ordre fut donné au général Eblé de couper les ponts.

Il les incendia, la mort dans l’âme.

Puis la retraite se poursuivit sur Wilna. Le froid s’accrut, le thermomètre descendit à vingt-huit degrés au-dessous de zéro.

« Les oiseaux tombaient raidis et gelés : l’atmosphère était immobile et muette ; il semblait, a écrit un historien, que tout ce qu’il y avait de mouvement et de vie dans la nature, que le vent même fut atteint, enchaîné et comme glacé par une mort universelle. »

Enfin le 5 décembre 1812, comme on atteignait Smorgoni, Napoléon assembla ses généraux ; il remit le commandement de l’armée à Murat et partit pour Paris, afin d’y reconstituer une armée de secours.

Avant de monter dans le traîneau qui l’emportait, il signa la dernière promotion datée du quartier général de la Grande-Armée.

La Grande-Armée ! à cette heure elle était réduite de six cent mille hommes à soixante mille ; elle avait perdu cinq cents canons, trente-deux aigles et plus de quarante généraux.