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Une sensation de chaleur étouffante, ainsi qu’une violente odeur de roussi l’étreignait.

Puis une clarté, rouge et aveuglante, pénétra jusqu’à lui à travers les volets fermés, en même temps qu’une rumeur mêlée de détonations et de crépitements arrivait à ses oreilles.

D’un bond Jean fut sur pied. Il se vêtit à la hâte, et, ouvrant sa fenêtre, il poussa une exclamation de surprise :

— Tonnerre ! s’écria-t-il… la ville qui brûle !

C’était vrai !

Devant notre ami stupéfait, une nappe de hautes flammes rouges montait vers le ciel, lançant des gerbes diamantées d’étincelles. Au milieu de la fumée qui se tordait en noires volutes, émergeaient des coupoles dorées et scintillantes.

Les maisons, en bois pour la plupart, craquaient et s’effondraient sous l’effort des flammes.

Dans les rues, une cohue d’hommes et de femmes affolées s’enfuyaient éperdus, emportant leurs objets les plus précieux.

Les soldats couraient aux armes et aux pompes, pour essayer d’enrayer le fléau.

Et dans les rues encore épargnées, on voyait se glisser, une torche à la main, le long des maisons, les galériens à qui le comte de Rostopchine avait ouvert les prisons de Moscou, en leur donnant, comme rachat de leur liberté, la mission d’incendier la capitale religieuse de toutes les Russies !

Jean Cardignac, muet d’horreur, contempla un instant le terrible spectacle ; puis bondissant sur ses armes, bouclant son ceinturon, il descendit quatre à quatre l’escalier.

Comme il arrivait dans la cour, il trouva Grimbalet qui amenait les chevaux.

— Ah ! mon colonel, quel malheur ! s’écria l’ordonnance.

— Que s’est-il passé ?

— Dame ! je ne sais pas moi ! J’ai vu le feu, j’ai couru aux écuries, et j’y ai trouvé l’adjudant qui m’a transmis pour vous l’ordre de rejoindre le quartier de l’Empereur au château de Petrowskoié.

— Bien ! répondit Jean, en route !…

Ils se mirent en selle et partirent au galop, au milieu des rues incendiées.