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nements, et même (par accident, sans doute) leurs ambulances ; car le lendemain on les retrouva en cendres, avec les blessés carbonisés.

Et quelques jours plus tard, le 15 septembre, Napoléon entrait à Moscou !

Ce fut à l’une des parades du matin, sur la place du Kremlin, que Grimbalet reçut de Napoléon la croix promise à la Grande-Redoute ; son émotion et sa joie furent telles qu’il pleura, et c’était bizarre de voir cette figure (toujours cocasse, malgré ses moustaches rousses) qui riait et pleurait à la fois.

L’armée réduite à 60.000 hommes cantonna, soit à Moscou, soit dans les faubourgs.

Jean Cardignac profita de la liberté que lui laissait son service pour visiter en détail cette ville étrange et mystérieuse, capitale religieuse de la Russie.

Notre ami prit à ses excursions un vif plaisir et s’étonna de constater que l’aspect général de Moscou, ville du Nord, lui rappelait l’Orient, avec ses coupoles et ses dômes dorés.

Aux nombreux juifs qui s’y livraient, selon l’habitude de leur race, à tous les négoces, il acheta des fourrures rares, des bijoux singuliers, des images religieuses, en or ou argent repoussé, agrémentées d’émaux.

Tout cela était destiné, dans son esprit, à sa femme, à sa chère Lisette, dont il n’avait maintenant que de rares nouvelles, à cause de l’éloignement.

Après les fatigues de cette âpre campagne, tous les soldats, ainsi que Jean, se sentaient heureux du repos momentané que leur offrait Moscou.

Napoléon comptait bien y passer l’hiver et espérait pouvoir, entre temps, conclure la paix. Mais il n’avait pas prévu l’exaltation sauvage du patriotisme chez les Russes, qui ne pardonnaient pas à leur grand vainqueur d’avoir violé leur ville sainte.

Même chez les gentilshommes russes, il existait alors un antique fond de sauvagerie, et ce fut un gentilhomme — le comte Rostopchine, gouverneur de Moscou — qui, par un acte de grandiose barbarie, précipita la catastrophe qui devait amener la désastreuse retraite de l’armée française.

Une nuit, Jean Cardignac dormait. Il rêvait, à quoi ?… à sa femme sans doute, à ses enfants, au retour triomphal après la rude épreuve de cette guerre. Soudain il s’éveilla.