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combat de Witebsk ! Il y soutint du reste vaillamment sa réputation. Bernadieu et Jolibois en eussent été fiers, car les trois cents voltigeurs du 9e, commandés par les capitaines Guyard et Savary, résistèrent seuls à toute la cavalerie russe qui les entourait, et l’Empereur les félicita personnellement.

— Voltigeurs du 9e, dit-il, vous avez tous mérité la croix !

Cet héroïsme n’était pas un fait isolé : c’était la monnaie courante de l’armée. Chacun s’exaltait, devenait un héros !

À Mohilew, à Smolensk, on fit des prodiges, mais la plus terrible, la plus sanglante victoire (non pas seulement de la campagne de 1812, mais de toutes celles gagnées par Napoléon) fut la bataille de la Moskowa.

Elle eut lieu le 7 septembre 1812.

Ce jour-là, dès l’aube, Jean Cardignac avait pris son tour de service auprès de la tente de l’Empereur, et il le croyait encore assoupi, car il avait donné ses derniers ordres jusqu’à une heure très avancée de la nuit, lorsque la portière se souleva et le Maître parut.

— C’est toi, Tapin ?

— Oui, sire.

— Eh bien, entre, je veux te montrer quelque chose.

Depuis le passage du Niémen, Jean n’avait pas vu sur la physionomie de Napoléon le sourire heureux qui l’épanouissait ce matin-là.

Avant d’entrer, l’Empereur se retourna.

— Tu as deux jumeaux, n’est-ce pas ?

— Oui, sire.

— Quel âge ont-ils ?

— Cinq ans passés.

— Déjà ! eh bien, regarde : voilà qui va te les rappeler, mais de loin. Et Napoléon souleva la portière.

Dans la grande tente quadrangulaire aux rayures bleues et blanches qu’il occupait au milieu des bivouacs de la garde, un lit de camp très simple était dressé, recouvert d’une peau d’ours ; sur le sol s’étalait un large tapis formé de peaux de renard argenté. Dans un angle, un nécessaire de toilette en vermeil au chiffre impérial : au centre de la tente, une table pliante surchargée de cartes et de papiers.

Mais l’attention de Jean s’était de suite portée sur une peinture encadrée d’or mat, et debout, sur un chevalet, à la tête du lit.