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— Cancalot a raison, dit-il. Vous avez touché chacun trois paires de souliers ! Il s’agit de les réserver pour les marches en Prusse, mon garçon ! et l’Empereur a raison, comme toujours. Au surplus, si ça te gêne d’être véhiculé comme un ambassadeur, je t’autorise à descendre… tu peux suivre à pied, au pas gymnastique… Mais ne lâche pas la voiture, parce que sans ça… je te porte manquant !

Et une nouvelle bordée de rires, accompagnés de lazzis à l’adresse de Campistrol, accueillit cette boutade du lieutenant.

La file des chars à bancs roulait en effet avec fracas, au train moyen de trois lieues et demie à l’heure, soulevant sur la route poudreuse un nuage épais de poussière. Chaque voiture était attelée de quatre vigoureux chevaux ; les paysans en blouse, qui conduisaient, activaient sans cesse l’allure, en faisant retentir de sonores claquements de fouet qui pétaradaient tout le long du convoi, comme une vraie fusillade.

Oui, mes enfants, la garde impériale, comprenant trois mille grenadiers et chasseurs à pied, voyageait en poste ! C’était une idée de Napoléon.

Il estimait que, gagner du temps à la guerre, c’est — presque toujours — gagner la partie ; et, avec sa décision habituelle, il avait réquisitionné toutes les voitures nécessaires et transportait ainsi l’élite de son armée.

On n’avait pas, comme aujourd’hui, le chemin de fer ! Il est vrai qu’on reproche à Napoléon de n’avoir pas eu foi en Fulton qui, ayant trouvé l’application de la vapeur, l’avait récemment proposée à l’Empereur.

Mais ce reproche est immérité. Quand on songe aux essais nombreux qu’il a fallu faire, aux modifications successives qui ont été apportées à cette application de la vapeur comme force motrice, on peut douter que Napoléon eût eu un bénéfice à employer cette découverte encore en enfance.

Ah ! s’il eût connu ces deux merveilles d’aujourd’hui qui sont l’automobile et la bicyclette, s’il les eût trouvées dans l’arsenal de découvertes de son époque, soyez persuadé qu’il les eût utilisées, et largement.

Sous prétexte que ces deux modes de transport sont encore susceptibles d’améliorations, il n’eût pas, comme on le fait aujourd’hui, remis sans cesse au lendemain leur application à l’art de guerre.

Des cyclistes il eût fait des éclaireurs incomparables, capables de fournir des courses de 150 kilomètres par jour, et de porter la terreur sur les derrières et dans les convois de l’ennemi.