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« Qu’il faut vous dire que, jusqu’à Austerlitz, j’avais été tout le temps par derrière en réserve et que ça m’ennuyait tout en me faisant plaisir, rapport que les camarades chevronnés ils s’amusaient à raconter aux conscrits qu’on peut pas voir une bataille sans être haché menu en mille millions de petits morceaux. Pour lors, comme ça, lorsque j’entendais le canon au loin, ça me faisait un drôle d’effet que ça me résonnait jusque dans le ventre. Pourtant que je m’habituais petit à petit. Quand voilà que, le 30 novembre, on nous met avec le général Caffarelli.

« — Que ça va vraisemblablement chauffer pour nous, conscrit ! que me dit le caporal de la 8e escouade dont j’en suis.

« Moi, je ne dis rien ; mais, dans le fond, je n’en pense guère plus.

« — Alors, que je me dis, Grimbalet mon garçon, va falloir tirer ta peau de là, si tu peux !

« Et nous v’là partis.

« Il ne faisait pas chaud, bon sang !

« De la neige et de la glace sur les chemins, que le froid ça vous collait la peau des doigts sur le canon du fusil.

« N’importe, nous arrivons et nous faisons le bivouac en arrière de la Garde, juste auprès de votre régiment, mon lieutenant !

« D’où que j’étais, on voyait bien, sur un coteau, la tente de l’Empereur. C’était le 1er décembre au soir, et v’là la nuit qui tombe comme j’étais en faction.

« Tout d’un coup, v’là que je vois dans le bivouac de la Garde, comme si qu’y avait le feu. On y voyait clair comme en plein jour et qu’est-ce que je distingue ?… Le petit Tondu qui se promenait au milieu des grenadiers, et tout du long qu’ils allumaient des torches de paille pour l’éclairer, en criant comme des enragés :

« — Vive l’Empereur !

« Pour lors, moi que ça m’a fait quelque chose, et comme si que le Tondu il aurait pu m’entendre, v’là que je cric aussi : Vive l’Empereur !

« — Cré nom de nom ! Mille millions de pétards ! C’qui t’a permis de parler en faction ? »

« Je me retourne !

« V’lan ! C’était l’adjudant Michebol qui faisait sa ronde et qu’il me colle quatre jours de garde au camp, pour « m’apprendre à respecter la consigne » qu’il a dit.