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Du reste Napoléon ne s’en cachait point ; car, le 10 août, Jean qui commandait le piquet d’honneur auprès de son héros, l’entendit qui disait au général Junot :

— Ça marche !… Ils ont beau s’entendre en Europe pour former une troisième coalition, cela ne me gêne pas. Je vais frapper l’Angleterre à la tête et je signerai la paix à Londres. Les autres se tairont. Que l’amiral Villeneuve débloque seulement, conformément à mes ordres, la flotte de l’amiral Gantheaume ! Quand j’aurai mes vaisseaux, tout ira bien.

Et Napoléon sortit avec Junot de la tente du quartier-général

— Tiens ! te voilà, mon ami Tapin ! fit-il en pinçant l’oreille de notre camarade.

— Oui, Sire, pour vous servir !

— Eh bien, passe le commandement du poste à ton adjudant et va de suite commander qu’on m’arme un canot. Je veux aller inspecter la flottille au large… Tu m’accompagneras.

— Bien, Sire !

Trois quarts d’heure plus tard, le canot volait vers la haute mer, poussé en avant par huit paires de bras vigoureux. Napoléon, Junot, un capitaine d’état-major de l’Empereur, Jean et l’enseigne de vaisseau commandant l’embarcation se trouvaient à l’arrière. Le pavillon impérial flottait dans le vent, déployant la soie de ses trois couleurs, brodée d’un N couronné, et semée d’abeilles.

Soudain, comme on avait dépassé la ligne française, une corvette anglaise qui croisait au large aperçut le canot. Reconnut-on de son bord le pavillon de l’Empereur ? le Commodore vit-il dans sa lorgnette la silhouette déjà bien connue de Napoléon ?… Toujours est-il que la corvette vira brusquement, et, prenant le vent, se dirigea, toutes voiles dehors, vers le canot.

L’enseigne avait bondi de son banc.

— La barre à bâbord ! commanda-t-il. Pare à virer… sur Boulogne !

— Mais pourquoi, mon ami ? demanda Napoléon : ils ne nous atteindront pas : nous avons trop d’avance.

— Sire ! répondit l’officier, permettez-moi de ne pas vous obéir. J’ai charge de votre personne, et si la corvette ne peut nous gagner, ses canons de chasse sont forts capables de nous couler. Nous, ce ne serait rien… mais vous êtes là !