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« En tous cas, se disait-il, si Jacques Bailly avait tenu sa promesse, s’il avait regagné la France, remis ma lettre et fait des démarches pour mon échange, je l’aurais su à Portsmouth. On ne m’a rien appris en Angleterre ; c’est donc que le père de ma Lison n’a pas voulu ou n’a pas pu revenir au pays. »

Ah ! si à cette époque le public eût pu correspondre comme aujourd’hui par les moyens rapides, Jean Cardignac eut télégraphié rue de la Huchette, et, dès le lendemain de son retour, il eût été renseigné.

Le télégraphe l’eût avisé que Catherine et Lison étaient vivantes, bien anxieuses il est vrai, bien tristes, mais qu’elles n’avaient jamais désespéré de le revoir !

Il aurait également appris, le pauvre Jean, que sa commission était faite, que Jacques Bailly était à Paris, que Lisette avait retrouvé son père, Catherine son mari, et que le triste passé avait été oublié, Belle-Rose ayant pardonné sans hésitation.

Malheureusement ce moyen de communication, d’un usage si courant aujourd’hui qu’il est à la portée des plus pauvres, n’était pas à la disposition des particuliers, surtout des pauvres diables, qui, comme Jean, revenaient des prisons de l’ennemi, les joues creuses, à peine vêtus, grelottant sous la bise.

Car c’est dans cet état que Jean et son ami avaient été débarqués, par un canot anglais, sur le quai de l’Arsenal de Cherbourg.

Il est juste de dire qu’on les avait reçus à bras ouverts.

Ils étaient en effet les deux premiers prisonniers que la paix rendait à la France !

Et lorsque, devant le capitaine du port, ils racontèrent leur évasion, la pitié fit place chez l’officier à une admiration sincère : il les fit réconforter, leur envoya chercher, aux magasins, des habillements de leur arme, et leur remit un billet de logement.

Le brave homme qui eut à les loger — un gros bonnetier de la ville — était un vrai Français. Il se prit instantanément, pour les deux évadés, d’une amitié nuancée de respect, à cause de leur courage.

Il les fêta, les soigna comme ses enfants, et, le lendemain matin, comme les deux amis revenaient de la Place où on leur avait donné leurs feuilles de route :