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Mais Haradec le retint par le bras.

— Laisse-moi passer, fit-il.

— Non, dit Jean ; je suis le plus mince, je passerai plus aisément et ferai moins de bruit.

— Tu as raison, mais embrassons-nous ; qui sait ce qui va arriver.

Les deux amis s’étreignirent longuement.

— Ce n’est pas tout, dit Haradec ; fais avec moi la prière à sainte Anne d’Auray.

— Je veux bien, dit Jean.

— Vois-tu, petit, sainte Anne est la patronne des Bretons ; mais je la connais : elle voudra bien faire quelque chose tout de même pour un Parisien comme toi.

Tous deux s’agenouillèrent, et, à voix basse, Jean répéta mot par mot la naïve et fervente prière de son compagnon. Dans ce moment terrible, il sentit que ce recours à une assistance divine décuplait sa confiance et ses forces, et, faisant le signe de croix, il se glissa dans l’ouverture.

Par bonheur, le canot sauveur était à portée de sa main, et il n’eut pas besoin de se mouiller pour l’atteindre : il saisit le bordage, l’attira à lui, et, par un vigoureux effort des poignets, réussit à s’y hisser sans bruit.

Une minute après, Haradec l’avait rejoint.

Son premier soin fut de constater la grosseur de la chaîne qui retenait le canot. Les maillons en étaient d’épaisseur moyenne et leur limage demanda une heure de travail, pendant laquelle une nouvelle ronde passa. Heureusement signalée de loin par son falot, elle permit aux deux évadés de se coucher à plat ventre sous les bancs et de rester inaperçus.

Jean ne s’était pas trompé : une paire de rames était au fond de la barque, Haradec les ajusta sans bruit, les plongea dans l’eau et avec une douceur infinie se mit à ramer.

Semblable à la barque fantôme des légendes Scandinaves, le canot quitta le bord. Allait-il échapper à la vue des sept sentinelles réparties sur le ponton ?

— Couche-toi au fond, dit Haradec d’une voix semblable à un souffle.

— Pourquoi ?

— S’ils tirent… ce n’est pas la peine d’être exposés tous deux.