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— Oui, et je vois que vous la connaissez bien, puisque vous lui donnez son vrai nom de Louise.

— Son vrai nom ! mais… mais c’est moi qui le lui ai choisi, il y a dix-huit ans.

— Vous seriez son parrain ?

— Je suis son père, dit l’inconnu d’une voix grave ; et deux grosses larmes jaillirent de ses yeux.

— Son père ! vous ! répéta Jean très ému : car jamais on n’avait parlé devant lui de Jacques Bailly, de ses écarts de conduite et de son départ pour les Indes. Il croyait Catherine veuve depuis longtemps, et ce fut avec un doute involontaire dans la voix qu’il répéta :

— Vous, le père de Lison !

— Oui, mon enfant, et presque le vôtre puisque Catherine, ma chère Catherine vous a adopté… Oh ! je vous en prie, dites-moi ce que sont devenues les deux chères créatures ; que font-elles ?… où sont-elles ?…

Il avait pris dans ses deux mains la tête du petit sergent et mis un long baiser sur son front.

— Parlez ! fit-il haletant ; parlez-moi d’elles ! »

Alors Jean raconta tout ce qu’était sa vie depuis qu’il était entré par affection dans la famille de Belle-Rose, et quand il eut terminé, Jacques Bailly, car c’était bien lui, narra la sienne sans en oublier un seul fait, même les plus défavorables. Il avait racheté bien durement ses erreurs de jeunesse, car pendant huit ans, à Pondichéry, sans argent, sans appui, il avait connu toutes les misères et toutes les souffrances ; puis un jour, il avait rencontré à Bombay un Écossais, Thomas Barclay, propriétaire à Yanaon d’une importante maison de denrées alimentaires. Entré à son service, il avait gagné sa confiance et avait été choisi par lui comme intendant. Depuis deux ans sa situation était devenue très prospère ; mais tout son bonheur était empoisonné par le souvenir du passé, et il n’avait jamais cessé d’espérer revoir la France et celles qu’il aimait toujours.

« Seulement, conclut-il, comment me recevraient-elles, si je les revoyais ?

— Oh ! à bras ouverts, s’écria Jean avec une chaleur communicative… Oh ! oui, j’en suis sur ! Et Lison donc ! Oh ! que ma petite Lison sera heureuse de retrouver son père !… Maintenant je ne regrette plus ma captivité, puis-