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Mais Jean n’eut pas le temps de répondre ; une main brutale venait de s’abattre sur son épaule, et un marin anglais, une espèce de géant à barbe blonde, qui semblait l’avoir pris en aversion, le poussa vers l’écoutille avec force jurons…

En un clin d’œil, les trois Français furent enfermés dans leur réduit dont le couvercle grillé s’abattit aussitôt sur eux.

Ils se turent, prêtant l’oreille aux bruits d’en haut :

Bientôt le canon tonna par bordées, ébranlant toute la carène ; des bruits de pas leur apprirent que les matelots couraient à leurs postes de combat ; puis la fusillade s’engagea, mêlée de cris, de commandements et de coups de sifflet.

Et ils restèrent là, désespérés de leur impuissance, ne sachant rien, à la merci de l’inconnu, silencieux et frémissants, chaque fois qu’un boulet, s’enfonçant dans la coque du vaisseau anglais, faisait vibrer les parois de leur prison.

Comment vous peindre, mes enfants, les émotions de toute sorte qui les assaillirent pendant ce combat naval, dans ce puits obscur où, d’un moment à l’autre, la mer pouvait s’engouffrer si le Bellérophon coulait.

Vous imaginez-vous mort plus affreuse que celle dont étaient menacés ces trois êtres humains, impuissants à se débattre contre le flot qui pouvait les envahir d’un moment à l’autre ?

Non, n’est-ce pas ?

Eh bien ! mes enfants, sachez que cette mort, cette mort terrible, est acceptée par devoir, et volontairement, par les marins d’aujourd’hui, que leur poste de combat appelle dans les parties basses d’un cuirassé.

Avez-vous déjà réfléchi à l’héroïsme qui doit soutenir l’obscur matelot, enfermé dans les chaufferies, dans les soutes ou près de la machine spéciale qui met en mouvement le gouvernail, pendant qu’on se bat au-dessus de sa tête.

Savez-vous, jeunes amis inconnus qui me lisez, que dans certains compartiments étanches des vaisseaux de guerre modernes, compartiments qui sont séparés les uns des autres, pendant la bataille, par des portes en fer fermant hermétiquement, il y a des hommes chargés de la surveillance d’un organe de marche ou de combat.

Savez-vous que ces hommes peuvent ne pas se douter que le navire sombre,