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Il fut bientôt lié avec nos deux amis et leur fit trouver le temps moins long par ses saillies et ses bavardages. Il faisait l’étonnement d’Haradec qui était un silencieux et le Breton avait dit à Jean :

« Si jamais nous complotons de nous évader, il ne faudra pas lui en faire part d’avance, car il ne pourrait s’empêcher d’en parler tout haut. »

Mais les projets d’évasion reculaient de plus en plus ; car, bien que Jean eût appris à nager à sec, en s’exerçant à faire les mouvements du nageur, le soir, dans le réduit de la cale, sous la direction d’Haradec, et bien qu’il fut prêt à se jeter à l’eau, si besoin était, pour gagner un bâtiment français ou une terre amie, l’occasion ne s’en était pas encore offerte.

Le Bellérophon reçut l’ordre de gagner les Indes ; il traversa le détroit de Gibraltar, toucha aux îles du Cap-Vert et de Sainte-Hélène, doubla le cap de Bonne-Espérance et s’arrêta quelques jours à l’île Maurice. C’était pendant l’été de 1801, et la chaleur était torride au passage de l’Équateur ; mais Jean était endurci : l’Égypte l’avait accoutumé à ces températures tropicales, et sa santé ne se ressentit pas trop des fatigues de ce dur voyage.

Mais, en arrivant en vue des rivages de l’Inde, il retrouva la guerre entre la France et l’Angleterre ; car, à la hauteur de Madras, le Bellérophon rencontra une corvette française, à laquelle il donna aussitôt la chasse.

Haradec et Jean Tapin éprouvèrent une émotion intense lorsque partit le premier coup de canon anglais, à l’adresse du pavillon aux trois couleurs, et ils échangèrent un regard qui en disait long. Si le vaisseau français pouvait avoir le dessus, c’était pour eux la délivrance, et, instinctivement, ils cherchèrent autour d’eux une arme quelconque, pour prendre leur part du combat, quand les deux bâtiments en arriveraient à l’abordage.

Mais ils avaient compté sans la méfiance des Anglais, méfiance bien naturelle il faut en convenir, puisque, sans s’être dit un seul mot, les deux prisonniers étaient décidés à tout tenter pour rejoindre leurs compatriotes et combattre avec eux.

La corvette avait mis toutes voiles dehors, et, tout en répondant aux coups de canons tirés par le vaisseau anglais, auquel elle était manifestement inférieure, elle forçait de vitesse pour s’échapper et se rapprocher de la côte, où le Bellérophon n’eut pu la suivre à cause de son tirant d’eau.

« Si tu me vois sauter à l’eau, petit, dit Haradec à mi-voix, saute derrière moi, je te soutiendrai. »