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portèrent les premiers, aux villages de la Basse-Égypte, à Damiette et à Rosette, la nouvelle de la victoire de l’armée française.

À midi, la charge battit, et les divisions, débarrassées des Mameluks qui étaient pour elles les seuls ennemis dangereux, abordèrent les remparts de terre élevés par l’infanterie turque. Celle-ci lâcha pied sans combattre ; les canons qui s’y trouvaient en grand nombre firent la joie des Français, car ils offraient cette particularité que, encadrés dans des affûts de bois, ils ne pouvaient tirer que dans une seule direction : quelques-uns même avaient éclaté au premier coup, tuant tous leurs servants.

Dans le camp abandonné par les Beys, les soldats trouvèrent des cantines pleines de confitures et de sucreries ; des tapis, des porcelaines, de l’argenterie, des étoffes, des parfums, des richesses de toutes sortes.

Mais ce qui émerveilla le plus notre petit ami, ce fut l’entrée au Caire, le soir, à la lueur de l’incendie de la flottille turque ; trois cents bâtiments brûlaient sur le Nil, jetant vers le ciel des tourbillons de flammes. On y voyait comme en plein jour ; les minarets élancés, les dômes imposants de la mosquée d’El-Azhar prenaient des apparences fantastiques, et, dans les rues étroites et désertes, derrière les grillages de leurs fenêtres, les Arabes, délivrés du joug des Mameluks, regardaient passer, au son d’une marche triomphale, ces soldats de l’Occident qui leur apportaient la liberté.

Comme l’armée, ils n’avaient d’yeux que pour le chef qui les conduisait, et de ce jour, ils l’appelèrent le sultan Kébir, c’est-à-dire le Grand Sultan.

Mais au milieu des réjouissances qui marquèrent l’entrée des Français dans la capitale de l’Égypte, la funèbre nouvelle du désastre d’Aboukir tomba comme une douche d’eau glacée.

L’amiral Brueys s’était obstiné à ne pas mettre la flotte à l’abri dans le vieux port d’Alexandrie, malgré les pressantes recommandations de Bonaparte ; de plus, il ne s’était pas fait éclairer et l’amiral anglais Nelson était tombé sur son escadre à l’improviste, au moment où la moitié de ses équipages étaient à terre. Après une bataille de dix-huit heures, il avait détruit la flotte française presque entière, en subissant lui-même des pertes énormes.

Le lendemain, on eut des détails par un courrier du contre-amiral Gantheaume : l’Orient avait sauté et sa perte avait été, en grande partie, cause du désastre.