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— Voilà qui est superlatif ! déclara-t-il en enfouissant sa fortune dans son havresac.

Quant à Jean, il se borna à prendre, sur la selle d’un riche cavalier, une étoffe de soie merveilleusement brodée, qu’il plia soigneusement au fond de sa giberne.

— Lison s’en fera un joli corsage, se dit-il.

Neuf jours après, l’armée de Bonaparte arrivait devant le Caire, où l’armée tout entière de Mourad-Bey allait tenter de l’arrêter dans une lutte suprême. C’est la bataille qui porte, dans l’histoire, le nom de Bataille des Pyramides. Elle se livra en effet à quelque distance de ces énormes monuments, bâtis vingt siècles auparavant par les esclaves hébreux.

À huit heures du matin, un immense hourra retentit dans l’armée française : elle venait d’apercevoir les quatre cents minarets du Caire, la fameuse capitale qui avait succédé à Thèbes, à Memphis et à Alexandrie.

Au sortir des sables arides, la vue de cette ville splendide ranimait tous les courages, et, lorsque apparut, en avant des jardins, l’immense armée des Beys, rangée en bataille, les acclamations des soldats redoublèrent.

— Qu’une bonne goutte de ma Catherine nous ferait du bien avant de commencer la danse ! s’écria le tambour-maître.

— Tu as raison, Marcellus, observa le capitaine Jolibois ; mais nous pouvons commencer la danse sans ça, et ce soir, après la bataille, nous boirons un fameux coup de vin dans cette bonne ville du Caire.

— Vous plaisantez, fit le colonel Dorval qui avait entendu.

— Mais, mon colonel, je suppose bien que…

— Vous ne savez donc pas que les Musulmans ne boivent pas de vin ? Le prophète leur a interdit le vin et les liqueurs fortes.

— Les malheureux ! s’écria le tambour-maître en faisant pirouetter sa canne : ils ne connaissent pas ce qu’il y a de plus superlatif, et je regrette encore plus ma pauvre Catherine et son tonneau !

Catherine, Lison ! Ces deux noms arrachèrent Jean Cardignac à la contemplation du merveilleux panorama que dorait le soleil levant : le premier coup de canon venait de retentir, et son imagination évoqua la figure douce et les yeux bleus de sa petite amie.

Si vraiment, comme le lui avait prédit le général Bonaparte, il pouvait devenir officier, quelle surprise pour elle au retour !