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plusieurs officiers. À côté de lui marchait un civil que Jean Tapin sut plus tard être un Français nomme Magallon, ancien consul de France au Caire. Amené de Toulon par Bonaparte, il devait lui servir d’interprète et de guide dans les principales villes égyptiennes qu’il connaissait bien.

— C’est ici, dit-il, qu’est la demeure du cheick El Messiri. Et justement, ajouta-t-il en pénétrant dans le palais, le voici.

Ce disant, il désignait le vieil Arabe que Jean Tapin venait, si opportunément, d’arracher à la froide cruauté de Michu.

Une conversation en arabe s’engagea aussitôt entre lui et l’interprète de Bonaparte, et Jean, que la curiosité avait amené près du colonel Dorval, entendit pour la première fois ce parler guttural si différent du nôtre. Il remarqua que, pendant toute la première partie de la conversation, le vieil Arabe l’avait désigné à l’interprète. Quand elle fut terminée, ce dernier en traduisit le sens au colonel :

« Le cheik El-Messiri, dit-il, est reconnaissant à ce jeune Franc — et ce disant il montrait notre ami Tapin — qui vient de l’arracher à la mort et de sauver ses femmes de la brutalité des soldats. Par considération pour lui, il consent à user de son influence auprès de Kaoraïm, le commandant turc d’Alexandrie, pour l’engager à rendre la citadelle. De plus, il va conseiller aux habitants de déposer les armes et de procurer des vivres à l’armée. »

Le colonel Dorval prit la main du petit sergent.

« Eh bien ! Tapin, mon ami, lui dit-il, tu peux te vanter d’avoir eu une heureuse inspiration en protégeant la vie de ces gaillards-là, et en te montrant galant vis-à-vis de ces dames… Il paraît que c’est un uléma, un chérif, comme qui dirait l’archevêque musulman d’Alexandrie. Grâce à lui, tout va rentrer dans l’ordre… Je rendrai compte à Kléber. Bon début de campagne, bon début !… »

Jean Cardignac, enchanté, s’élança au dehors pour prendre sa part de la lutte finale ; mais déjà la cité bâtie par Alexandre le Grand était au pouvoir des Français.

Le général Bonaparte y fit, à midi, une entrée triomphale. Comme il tournait une rue, une balle, partie d’une fenêtre, rasa la botte de sa jambe gauche ; les chasseurs de sa garde montèrent sur la terrasse, entrèrent dans la maison et trouvèrent un Turc seul, barricadé dans sa chambre, ayant autour de lui, six fusils chargés ; il fut tué sur place.