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parmi lesquels nos deux prisonniers reconnurent des vocables familiers, pénétrèrent jusqu’à eux ; et, une minute après, par une brèche ouverte à l’aide d’un gros madrier, apparaissaient les figures connues des grenadiers de la section de Jean Tapin.

— Le voilà ! s’écria Michu.

Et la baïonnette haute, les gaillards envahirent la salle en poussant devant eux un Maure, au turban vert, à la longue robe jaune, à la figure bronzée, aux traits énergiques, à la barbe toute blanche.

L’émotion pour Jean et son compagnon avait été courte mais vive, et vous devinez, mes enfants, quel soupir ils durent pousser en se voyant à l’air libre, dans un superbe patio — on appelle ainsi la cour intérieure des maisons arabes — autour duquel courait une colonnade de porphyre.

Car ils étaient tombés dans un véritable palais ; rien à l’extérieur, suivant l’usage oriental, ne le distinguait des maisons voisines, sauf la hauteur de ses terrasses ; mais l’intérieur en était d’une richesse inouïe.

Il était facile de voir que le maître en était le fier Arabe dont les grenadiers venaient de s’emparer, car, dès qu’elles le virent, les femmes s’élancèrent au-devant de lui éplorées, baisant le bas de son cafetan et redoublant leur mimique expressive, panachée d’un gazouillis d’interjections suppliantes.

Déjà Jean Tapin, tout au bruit du canon et de la fusillade qu’il percevait de nouveau, s’élançait vers la porte principale qui donnait sur une petite place, lorsqu’il s’aperçut qu’il n’était pas suivi. Tous ses hommes, et Cancalot lui-même, étaient rentrés à l’intérieur du palais ; les uns commençaient à piller, les autres entraînaient les femmes et les dépouillaient de leurs colliers de perles et d’ambre, pendant que, froidement, Michu attachait le vieil Arabe à une colonne avec une bretelle de fusil, et, reculant de quelques pas, s’apprêtait à le fusiller dans toutes les règles.

Jean s’élança furieux, et, d’un geste brusque, releva le fusil de l’Auvergnat.

— Défense de tuer cet homme ! Tu ne vois donc pas qu’il est désarmé ! clama-t-il d’une voix qui n’admettait pas de réplique.

Il courut aussitôt vers ses grenadiers, et, admonestant celui-ci, invectivant celui-là, jetant à pleins poumons les ordres les plus énergiques, il parvint, non sans peine, à les rassembler et les dirigea vers la sortie.

Là, il trouva le colonel Dorval, suivi du commandant Scévola et de