Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Car ce qui, par-dessus tout, enfiévrait son âme de soldat, c’était le génie de Bonaparte, de ce général de vingt-huit ans qui, chaque jour, s’affirmait avec plus de vigueur comme une grande figure, et prenait déjà dans l’esprit public une place énorme.

Jean ne put réellement sortir seul, à pied, d’une façon régulière et normale, qu’en septembre. Il était guéri, mais pas encore suffisamment pour reprendre du service.

Hoche venait de mourir presque subitement au camp de Wetzlar, au moment de reprendre l’offensive ; empoisonné, dit-on, mais par qui ? on ne l’a jamais su.

Un mois après, le 17 octobre 1797, la guerre était arrêtée par la signature du traité de Campo-Formio.

Jean Cardignac en conçut presque du dépit, car, sentant les forces lui revenir, il songeait à repartir, voulant reprendre son rang à la neuvième, malgré l’affection de ceux qui si tendrement l’entouraient.

Mais à ce moment Bonaparte revenait d’Italie et rentrait à Paris.

Il vint se loger dans une modeste maison, rue Chantereine, et Jean voulut voir ce jeune héros dont le nom emplissait toutes les bouches.

Justement le Directoire préparait une fête triomphale pour célébrer avec pompe les succès de l’armée d’Italie. Bonaparte devait remettre solennellement le traité de Campo-Formio aux Directeurs, dans la cour du Luxembourg, décorée magnifiquement pour la circonstance.

Jean s’y rendit, mais la foule était tellement compacte qu’il ne pût jamais s’approcher de l’estrade où le jeune général, entouré de ses compagnons d’armes, recevait, des mains de Talleyrand, un drapeau couvert de noms de victoires.

Il ne vit que sa silhouette, petite et maigre. Au milieu des généraux chamarrés d’or, et des Directeurs couverts de broderies et la tête empanachée de plumes, le héros d’Arcole tranchait par la simplicité de sa tenue et la dignité de son maintien.

Le regard de Jean ne le quitta plus, et, bien qu’il ne put distinguer ses traits, il lui sembla que, depuis longtemps, son âme l’attendait. Il mêla sa voix aux milliers de voix qui acclamaient le futur empereur, et tressaillit jusqu’au fond de son être quand le drapeau brodé d’or s’inclina devant lui.

C’en était fait : il était pris et comme enveloppé par cet homme. De ce