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comprendre. Tout à son devoir de soldat, il fut préservé de la haine qui entraînait alors les enfants de la même patrie les uns contre les autres.

C’est ce qui vous démontre, mes amis, combien cette fonction du « soldat » est sublime entre toutes. Le « soldat » occupe une place à part dans la nation. Il prépare silencieusement à la guerre les générations qui passent, et les querelles de la politique lui sont étrangères. Les bouleversements de la passion ne l’atteignent pas ; il n’a qu’une règle : son devoir, qu’un amour : son pays, qu’un désir : la défense de sa patrie, qu’une haine : l’étranger, lorsqu’il s’appelle l’ennemi.

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Le lendemain matin, Catherine alla trouver le colonel Bernadieu et lui fit part des regrets que le petit Jean lui avait formulés la veille.

L’officier fronça le sourcil :

« C’est bon, Catherine, répondit-il sèchement ; c’est bon ! Je verrai ce que j’ai à faire. »

Incontinent, le colonel se rendit à son bureau où le petit secrétaire était déjà en train de travailler.

« Alors, comme ça, — dit-il sans préambule et d’un ton un peu cassant — tu n’es pas content ?… Tu raisonnes ? »

Rouge comme une cerise, Jean s’était levé.

Comprenant que dame Catherine avait raconté ses doléances, il voulut parler ; mais les mots ne lui vinrent pas.

« Mon colonel… — articula-t-il avec trouble — mon colonel… je… non !… je ne… »

Malgré ses efforts, Jean n’était pas capable de prononcer une phrase.

Bernadieu ne put s’empêcher de sourire.

« Oui !… Tu raisonnes ! continua-t-il… et je n’aime pas les raisonneurs, tu le sais bien !… »

Mais comme Tapin restait silencieux, avec une larme au bord des cils :

« D’abord, mon garçon, tu sauras une chose : j’aime la franchise, moi ! Quand on a quelque chose à demander, on le demande carrément. Je ne connais que ça… Je te prenais pour un petit homme… est-ce que tu ne