Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En un clin d’œil, la rive fut garnie de tirailleurs ; une compagnie resta en arrière, en réserve, l’arme au pied.

Chez l’ennemi, l’alarme avait été vive : une stupeur indicible s’était emparée des artilleurs autrichiens, lorsqu’ils avaient senti leur ponton se mettre en mouvement.

La sentinelle avait bien lâché un coup de fusil ; plusieurs hommes s’étaient jetés à l’eau ; l’étonnement et la peur avaient immobilisé les autres.

Mais aucun d’eux — dans la nuit noire — ne pouvait se rendre compte que le radeau était attiré vers la rive française par une corde qu’il leur était impossible d’apercevoir.

Les Autrichiens croyaient, simplement, dériver au fil du courant ; et ce fut avec une terreur folle qu’ils distinguèrent enfin, au milieu des roseaux, sur la rive toute proche, des soldats qui les couchaient en joue.

Le sentiment de la conservation les domina. Jetant leurs armes, ils s’écrièrent :

— Pardone, Françose !

Ce fut au milieu de l’hilarité générale qu’ils débarquèrent, navrés et honteux comme le renard de la fable ; et derrière eux on vit sortir de l’eau nos deux amis, Belle-Rose et La Ramée, noirs de vase, trempés comme des soupes, mais riant à s’en tenir les côtes.

— Eh bien ! citoyen colonel, s’écria le tambour-maître, je suppose que c’est un peu superlatif !

— Tu l’as dit, mon vieux Marcellus, répliqua Bernadieu enchanté. C’est un fait d’armes dont la neuvième tout entière a lieu de s’enorgueillir.

Le colonel serra la main aux deux braves qui venaient, avec une audace inouïe, de s’emparer de deux canons et de quatre-vingts prisonniers.

Vous pensez bien, mes enfants, qu’on garda les canons.

Quant aux prisonniers, on les échangea, dès le lendemain, contre quatre vingts de nos soldats, qui avaient été pris par l’ennemi au cours des diverses sorties.

Kléber en effet ne voulait pas nourrir des bouches inutiles :

— Il n’y a pas déjà si gras à manger pour nous — avait-il dit avec beaucoup de logique ; — j’aurais mieux aimé, au besoin, relâcher nos prisonniers.

Le surlendemain, devant toute la garnison rassemblée, Belle-Rose, La