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Jean eut un frisson, détourna la tête, et, pour ne pas voir, se contraignit à regarder les deux généraux.

Dumouriez et Kellermann se promenaient, calmes et graves, sous l’orage de fer qui arrivait des lignes prussiennes.

Autour d’eux la boue jaillissait, fouettée par les projectiles ; ils ne voyaient rien et discutaient.

« Tenez ici jusqu’à la dernière extrémité, conclut Dumouriez.

— Je tiendrai, répondit Kellermann d’une voix ferme, et si vous entendez dire que j’ai bougé d’ici, c’est qu’un boulet m’en aura délogé.

— J’en suis bien sûr ! »

Et les deux hommes se serrèrent la main.

Mais Dumouriez venait à peine de tourner bride pour retourner vers son armée, qu’un bruit éclatant de trompettes et de tambours arriva, porté par le vent, aux défenseurs du plateau.

Une éclaircie venait de se produire dans le ciel, et un rayon de soleil, se promenant sur le champ de bataille, fit scintiller des milliers de baïonnettes sur les hauteurs de La Garenne et de Maigneux.

Les deux lignes de l’armée prussienne, formées par bataillons et se suivant à courte distance, venaient de s’ébranler pour attaquer le plateau de Valmy.

Brunswick et le roi de Prusse, après de longues hésitations, venaient de se décider à prendre l’offensive, et, suivant le principe de Frédéric II, à porter tout leur effort sur la clef de la position ennemie, c’est-à-dire sur la hauteur du moulin.

« Enfin ! » s’écria Kellermann, et ses yeux lancèrent un éclair.

Il tira son sabre, et ôtant son chapeau, l’éleva à la pointe de l’arme ; puis, se grandissant sur ses étriers, il parcourut le front des troupes au pas de son cheval.

Il était vraiment beau ainsi, avec sa figure pâle et rasée, ses lèvres pincées, son front large et son air de défi.

« Camarades, cria-t-il, le moment de la victoire est arrivé ! laissons avancer l’ennemi sans tirer un seul coup et chargeons-le à la baïonnette ! Vive la nation ! »

Une immense acclamation lui répondit ; elle s’étendit sur toute la ligne de bataille, et, pendant plusieurs minutes, domina tous les bruits et jusqu’à la canonnade elle-même.