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— Mais, demanda Catherine au tambour-maître quand ils se retrouvèrent seuls, pourquoi ne resterait-il pas tambour avec nous ? pourquoi lui supposer ou lui donner des idées d’ambition, à cet enfant. Je commence à m’attacher à lui ; il est si gentil, si doux, si bien doué.

— Mais, ma pauvre Catherine, c’est justement parce qu’il a toutes ces belles qualités-là qu’il n’est pas fait pour rester tambour toute sa vie ; regarde-le lire tout ce qui lui tombe sous la main… c’est un gamin qui nous fera honneur, au contraire, Catherine, puisque aujourd’hui tout le monde peut arriver par son mérite superlatif, et, au lieu de le garder avec nous, il faut le pousser.

— Tu as peut-être raison, fit Catherine tristement ; mais j’aurai grand chagrin quand il nous quittera : heureusement, nous avons le temps d’y penser, puisqu’il n’aura treize ans que le 3 janvier prochain : il restera donc notre enfant encore trois ans au moins : après, à la grâce de Dieu !

— Et vive la nation ! », conclut le colosse, qui ne manquait jamais une occasion de pousser ce cri patriotique, devenu le mot d’ordre de la France entière.

Le 19 novembre au matin, des cris de joie, des acclamations formidables retentirent par tout le camp.

L’armée de Kellermann venait d’arriver.

Presque en même temps arrivèrent au camp les dix mille hommes que le général Beurnonville amenait de Flandre, et l’enthousiasme des soldats fut à son comble : le soir même, des détachements des régiments fraternisèrent sous la pluie battante qui depuis quinze jours ne cessait pas, et le tambour Horace, qui avait de la littérature et ne résistait pas au désir d’exprimer une fine plaisanterie, qualifia de troupes fraîches les renforts qui arrivaient au camp.

Ce 19 septembre, Jean Tapin, en tenue irréprochable et perruque bien lissée, dîna sous la tente du colonel Bernadieu. Très ému il mangea peu, but encore moins et ne parla que pour répondre aux questions qui lui étaient posées ; si bien que, après avoir donné, quelques jours auparavant, la mesure de son intelligence et de son caractère, il sut se faire remarquer ce soir-là par son attitude convenable et sa bonne éducation.

Il s’endormit la tête pleine de rêves : le lendemain, il s’éveillait au bruit du canon de Valmy.