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toujours restées à une distance l’une de l’autre qui leur permettait de se concentrer au besoin.

Plus loin Tolstoï empoigne de nouveau les historiens et, pour leur porter un coup décisif, s’imagine de leur attribuer une opinion qui n’a jamais été émise sérieusement par aucun d’eux. Il prétend que ceux-ci vont jusqu’à présenter la désertion finale de Napoléon comme une inspiration sublime et géniale. Je n’ai rien trouvé de semblable nulle part. Peut-être l’auteur sait-il chez qui se trouve ce passage ? Il eût été très aimable de citer tout simplement les noms des historiens dont il trouve les idées absurdes et dignes d’être tournées en ridicule.

Il termine la partie historico-militaire de son roman par l’examen critique de la deuxième partie de la campagne et entre autres de cette question : « Pouvait-on barrer la retraite aux Français ? » Là encore, comme on pouvait s’y attendre, il ne partage pas l’opinion généralement reçue. Le contraire m’aurait surpris. Il est d’avis que chercher à couper la retraite à l’armée française eût été aussi absurde que de vouloir chasser une méchante vache d’un potager où elle se serait introduite, en courant devant pour la frapper sur le front. Ceci serait en effet ridicule. Mais ce qui ne le serait pas ce serait de la tuer, fût-ce même de par devant, pour mettre fin à ses méfaits, à condition bien entendu que le méfait en valût la peine. Tolstoï trouve admirable que les Russes, c’est-à-dire la masse, la foule, par une conscience vague de cette absurdité, aient fait non pas ce qui était ordonné, mais ce que la nécessité réclamait. C’est simple et clair. Ainsi donc Tchitchagoff, lui aussi s’est conformé à l’instinct de la masse en se laissant surprendre à Borisoff et refouler sur la rive droite de la Bérézina. C’est en vain que les historiens prouvent positivement et documents en main que le plan de concentration des armées de Tchitchagoff, de Wittgenstein et de Koutouzoff, malgré l’immensité des distances, a été étonnamment près de se réaliser ; c’est en vain qu’ils signalent clairement les fautes de Tchitchagoff, le peu de désir de Wittgenstein d’arriver à temps sur le point de concentration indiqué. Pour Tolstoï, ces explications ont le défaut d’être trop simples et trop faciles à comprendre ; celui de reposer « sur la correspondance des souverains et des diplomates » et par conséquent de faire trop clairement dépendre les événements des chefs et du commandement. C’est ce qui l’empêche de les