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gagne beaucoup sous le rapport de ta vérité artistique, Bolkonsky est bien l’homme de son temps tout craché.

Le portrait de Bagration aussi est idéal. Comparez-le, pour vous en convaincre, avec ce que dit le maréchal de Saxe de la conduite du général d’armée un jour d’affaire :

« … Il faut qu’un général d’armée ne soit occupé de rien un jour d’affaire. L’examen des lieux et celui de son arrangement pour ses troupes doit être prompt comme le vol d’un aigle ; sa disposition, courte et simple, comme qui dirait : la première ligne attaquera, la deuxième soutiendra, ou tel corps attaquera et tel autre soutiendra.

« Il faudrait que les généraux qui sont sous lui fussent gens bien bornés s’ils ne savaient pas exécuter cet ordre et faire la manœuvre qui convient, chacun à sa division. Ainsi, le général ne doit pas s’en occuper ni s’en embarrasser, car s’il veut faire le sergent de bataille et être partout, il sera précisément comme la mouche du coche.

« Il faut donc qu’un jour d’affaire, le général d’armée ne fasse rien ; il en verra mieux, se conservera le jugement plus libre et sera plus en état de profiter des situations où se trouve l’ennemi pendant la durée du combat et, quand il verra sa belle, il devra baisser la main pour se porter à toutes jambes dans l’endroit défectueux, prendre les premières troupes qu’il trouve à portée, les faire avancer rapidement et payer de sa personne : c’est ce qui gagne les batailles et les décide. Je ne sais ni où ni comment cela doit se faire, parce que la variété des lieux et celle des positions que le combat produit doivent le démontrer : le tout est de le voir et de savoir en profiter. Cette partie est la plus sublime du métier… »

Ne croirait-on pas, en lisant Guerre et Paix, que l’auteur a créé « son Bagration » d’après le modèle même tracé par le maréchal de Saxe, tant chacune des touches qu’il donne à son portrait en est la reproduction fidèle.

Voici maintenant l’idéal de Bolkonsky, esquissé également par le maréchal de Saxe comme exemple de ce qu’il faut bien se garder de faire :

« Bien des généraux ne sont occupés, un jour d’affaire, que de faire marcher les troupes bien droites, de voir si elles conservent bien les distances, de répondre aux questions que leurs aides de