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70        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

donnée et la police des quais parvint à repêcher le corps d’un jeune homme, nommé Openshaw et habitant Horsham, comme l’atteste une enveloppe trouvée dans sa poche. On suppose que dans sa hâte à arriver à temps pour prendre le dernier train à Waterloo station, et grâce à l’obscurité, il s’est trompé de chemin, et a enjambé l’extrémité d’un ponton qui sert à amarrer les bateaux. Son corps ne portant nulle trace de violence, il semble évident que le défunt a été la victime d’un fatal accident. Ce malheur devra attirer l’attention des autorités sur la fâcheuse disposition des pontons d’amarrage. »

Nous restâmes quelques minutes immobiles et silencieux, Holmes plus déprimé et ému que jamais.

— Quel échec à mon amour-propre ! Watson, dit-il enfin. C’est là un bien petit sentiment, je l’avoue, mais mon orgueil en souffre. J’en fais une affaire personnelle et si Dieu me prête vie, je mettrai la main sur cette bande ! Et dire que ce jeune homme venait implorer mon secours, et que je l’ai envoyé à la mort !

Il se leva brusquement de son fauteuil et arpenta la chambre d’un pas agité ; ses joues blêmes avaient pris une légère coloration ; ses mains longues et amaigries se crispaient nerveusement.

— Ces gens-là doivent être de rusés gredins, s’écria-t-il, pour l’avoir fait tomber dans ce piège. La berge de la rivière n’est pas en droite ligne avec la station ; même à cette heure de la nuit, il passait trop de monde sur le pont pour qu’ils pussent exécuter leurs projets. Eh bien ! Watson, nous allons voir qui gagnera cette course : je sors sur l’heure !

— Pour aller à la police ?

— Non ; je me suffirai à moi-même ; quand j’aurai préparé mon filet, je serai sûr de prendre le gibier, mais pas avant.

Toute la journée je dus vaquer à mes occupations et il était tard quand je regagnai Baker street. Holmes n’était pas encore rentré. Enfin, vers dix heures, il revint pâle et exténué. Il alla droit au buffet, coupa un morceau de pain et le mangea avec voracité ; puis il avala un grand verre d’eau.

— Vous avez faim, lui dis-je.

— Je tombe d’inanition ; je n’ai rien pris depuis le déjeuner.

— Rien ?

— Non ; d’ailleurs je n’avais pas le temps d’y penser.

— Eh bien ! avez-vous réussi ?

— Oui ; certes.

— Vous avez trouvé la piste ?

— Je les tiens dans le creux de ma main. Le jeune Openshaw sera bientôt vengé. Nous allons les marquer à leur propre et diabolique marque de fabrique ; c’est bien inventé, n’est-ce pas ?

— Que voulez-vous dire ?

Il prit une orange, l’ouvrit et en exprima les pépins sur la table. En choisissant cinq, il les mit dans une enveloppe et inscrivit au bas : « S. H. pour J. O. » Ensuite il la cacheta et l’adressa à : « Capitaine James Calhoum, Barque « Lone Star », Savannah, Géorgie. »

— Cette lettre lui sera remise à son entrée au port, dit-il en ricanant, et pourra bien l’empêcher de dormir ; elle sera pour lui, comme pour Openshaw, l’avant-coureur de son destin.

— Qui est ce capitaine Calhoum ?

— Le chef de la bande ; j’aurai les autres, mais lui d’abord.

— Comment l’avez-vous dépisté ?

Holmes sortit de sa poche une large feuille de papier toute couverte de dates et de noms.

— J’ai passé toute la journée, dit-il, à consulter les registres du Lloyd et des monceaux de vieux papiers, suivant la marche de tous les vaisseaux qui avaient touché à Pondichéry en janvier et février 83 ; trente-six bateaux de faible tonnage sont inscrits sur les registres de cette ville pendant ces derniers mois. L’un d’eux, le Lone Star, attira immédiatement mon attention (bien que, d’après les registres, il provînt de Londres) parce que son nom est celui d’un des États d’Amérique.

— Le Texas, je crois !

— Je ne puis pas l’affirmer ; mais je suis sûr de son origine américaine.

— Eh bien ! alors ?

— Je fouillai les registres de Dundee, et quand j’eus découvert que le Lone Star était dans ce port en janvier 85,