Page:Doyle - Nouvelles Aventures de Sherlock Holmes.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

54        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

— Je suis un mourant, dit le vieux Turner ; je suis depuis plusieurs années atteint de diabète. Mon docteur se demande si je vivrai plus d’un mois. Je vous avoue bien franchement que je préférerais mourir sous mon toit que dans une geôle.

Holmes se leva, et s’assit devant la table, la plume à la main avec une liasse de papier devant lui.

— Dites-nous la vérité. J’écrirai votre récit, vous le signerez, et Watson, ici présent, peut servir de témoin. À la dernière extrémité je produirai votre confession, si c’est absolument nécessaire pour sauver le jeune Mac Carthy. Je vous promets de ne l’employer qu’à défaut d’autre ressource.

— Cela vaudra mieux, dit le vieillard ; il s’agit de savoir si je vivrai jusqu’aux assises. Donc peu importe, mais je veux à tout prix épargner Alice. Si vous voulez, je vais tout vous expliquer ; il m’a fallu plus de temps pour accomplir l’acte qu’il n’en faut pour le dire.

Vous ne connaissez pas la victime, Mac Carthy. C’était le diable incarné, je vous le certifie. Que Dieu vous préserve de jamais tomber dans les griffes d’un homme comme lui ! Depuis dix ans il pèse sur ma destinée et il a ruiné ma vie.

Dans les années qui suivirent 1860, je me trouvais occupé dans les mines d’or de l’Australie. Très jeune, ardent et téméraire, j’étais prêt à entreprendre n’importe quoi ; je fis partie d’un groupe de fortes têtes, je me mis à boire, je tombai sur une concession improductive, je me jetai dans la brousse et je devins, en un mot, ce que vous appelez ici un voleur de grand chemin. Nous étions une bande de six, et nous menions une vie de sauvages, dévastant de temps à autre une station, ou arrêtant les wagons se dirigeant vers les mines. J’étais connu sous le nom de Black Jack de Ballarat et on appelle encore notre bande la bande de Ballarat.

Un jour, un convoi d’or arriva de Ballarat se dirigeant sur Melbourne. Nous le guettâmes pour l’attaquer. Il était défendu par six cavaliers et nous étions six aussi, de sorte que c’était jouer serré ; mais quatre de nos adversaires tombèrent à la première décharge. Trois de nos boys furent tués cependant avant que nous ayons pu prendre le dessus. Je mis mon pistolet sous le nez du fourgonnier qui était précisément ce Mac Carthy. Plût à Dieu que je l’eusse tué alors ! Mais je l’épargnai, quoique je visse bien que ses mauvais yeux n’étaient fixés sur moi que pour bien graver mes traits dans sa mémoire. Cet or dont nous nous étions emparés fut le point de départ de notre fortune et nous revînmes en Angleterre sans avoir été soupçonnés. Là je me séparai de mes vieux camarades et je me décidai à me fixer enfin et à vivre d’une vie calme et respectable. J’achetai cette propriété que j’eus la chance de trouver à vendre et je cherchai à consacrer ma fortune au bien pour compenser la manière dont je l’avais acquise. Je me mariai aussi et, quoique ma femme mourût peu de temps après, elle me laissa une fille, ma chère petite Alice. Même tout enfant, sa main semblait me guider dans le bon chemin, où aucun autre ne m’eût mené. En un mot, je commençai une vie nouvelle et je fis de mon mieux pour réparer le passé. Tout alla bien jusqu’au moment où Mac Carthy parut.

J’étais allé à la ville pour faire un placement lorsque je le rencontrai dans Regent street, à peine vêtu et chaussé.

« — Ah ! te voilà, Jack, dit-il en me touchant familièrement le bras ; nous allons te servir de famille, mon fils et moi ; tu penses bien, j’espère, nous prendre à ta charge. Sinon, l’Angleterre est un beau pays, respectueux des lois, et il y a toujours un sergent de ville à la portée de la voix. »

Je ne pus les empêcher de venir dans l’Ouest et ils se sont installés chez moi où ils ont vécu depuis ce moment sans payer de loyer. Dès lors je n’eus plus un instant de repos, de paix ou d’oubli ; je rencontrais à tout bout de champ la figure sournoise et grimaçante de cet homme. Ce fut bien pis lorsqu’Alice fut devenue une jeune fille, car il s’aperçut vite que ce que je redoutais bien plus encore que la police, c’était qu’elle ne