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46        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

bientôt le roulement de sa voiture sur le pavé.

— Je rougis de vous, Holmes, dit Lestrade avec dignité après quelques minutes de silence. Pourquoi donner à cette malheureuse un espoir que vous savez être irréalisable ? Je ne suis pas plus sensible qu’il ne le faut, mais j’appelle cela un jeu cruel.

— Je crois avoir trouvé le moyen de disculper James Mac Carthy, dit Holmes. Avez-vous l’autorisation de le voir dans sa prison ?

— Oui, mais valable pour vous et moi seulement.

— Alors je vais peut-être revenir sur mon refus de sortir. Nous avons, ce me semble, encore le temps de prendre un train pour aller à Hereford et voir le prisonnier avant la nuit.

— Amplement.

— Alors, partons. Watson, je crains que vous ne vous ennuyiez pendant mon absence ; mais je serai revenu dans moins de deux heures.

Je les accompagnai à la gare, j’errai dans les rues de cette petite ville de province, et finalement je revins à l’hôtel où je m’étendis sur le sofa en cherchant à m’absorber dans un roman à reliure jaune. L’intrigue en était si insignifiante, comparée à celle qui se déroulait sous nos yeux, que je n’arrivai pas à fixer mon attention et que mon esprit passait sans cesse du roman à la réalité. Enfin, impatienté, je jetai le livre à l’autre bout de la pièce afin de ne plus penser qu’aux événements du jour. En supposant que le récit de ce malheureux jeune homme fût absolument vrai, quel fatal accident avait pu se produire ? Quelle calamité extraordinaire et imprévue était venue s’abattre sur la malheureuse victime entre le moment où James Mac Carthy quitta son père, et celui où, rappelé par ses cris, il se précipita dans la clairière ? Le coup porté avait été mortel. D’où provenait-il ? La nature des blessures ne pourrait-elle être une révélation pour moi, médecin ? Sur cette réflexion je donnai un coup de sonnette et je demandai le journal hebdomadaire de la localité, qui contenait un compte rendu in extenso de l’enquête.

La déposition du chirurgien portait que la partie postérieure de l’os pariétal gauche et la moitié gauche de l’os occipital avaient été fracassées par le coup très violent d’une arme contondante. J’étudiai le coup sur ma propre tête. Il était évident que la victime avait été frappée par derrière, et ceci était à la décharge de l’inculpé qui se trouvait faire face à son père, lorsqu’on l’avait vu en discussion avec lui. Cependant cela ne pouvait aller très loin comme défense, car le père pouvait parfaitement avoir fait un mouvement et tourné le dos, avant que le coup ne l’eût frappé. Toutefois je me promis d’appeler l’attention de Holmes sur ce détail. Il y avait aussi cette allusion du mourant à un rat qui m’embarrassait fort. Que pouvait signifier cela ? Un effet du délire ? Un homme frappé mortellement, n’est pas, en général, subitement atteint de délire. Non, il est probable qu’il avait cherché à expliquer par là sa mort. Mais qu’est-ce que cela voulait dire ? J’eus beau torturer mon cerveau pour trouver une explication, ce fut en vain. Et cette couverture grise vue par le jeune Mac Carthy ? S’il disait vrai, l’assassin devait avoir laissé tomber, dans sa fuite, quelque partie de son vêtement, probablement son pardessus, et, il avait dû avoir la témérité de revenir sur ses pas et de l’emporter au moment où le fils était agenouillé, lui tournant le dos, à douze pas au plus de lui. Quel tissu de mystères et d’invraisemblances ! Je n’étais pas surpris des conclusions de Lestrade, et cependant j’avais une telle foi dans la perspicacité de Sherlock Holmes que je ne perdais pas espoir, d’autant que chaque nouveau fait semblait confirmer sa conviction de l’innocence du jeune Mac Carthy.

Il était tard lorsque Sherlock Holmes rentra. Il revint seul. Lestrade était retourné directement en ville où il avait pris une chambre.

— Le baromètre est toujours très haut, dit-il en s’asseyant. Il est important qu’il ne pleuve pas avant que nous ne soyons allés sur les lieux du crime. D’un autre côté, un homme a besoin de toutes ses facultés pour mener à bien une mission